Festival international du film sur l’art: le jardin extraordinaire
Le Festival international du film sur l’art (FIFA) a 40 printemps cette année. Depuis 1981, il fait éclore sur les écrans de Montréal la fine fleur du cinéma d’art de partout à travers le monde. En 2022, c’est plus de 200 titres de 46 pays qu’on pourra voir en ligne et en salle à compter du mardi 15 mars jusqu’au 27 mars. Pour vous mettre au parfum, j’ai cueilli quelques titres en français que je vous offre comme un bouquet.
Charles Trenet, l’enchanteur
Commençons par un documentaire sur Charles Trenet (1913-2001), dont on célébrait le 20e anniversaire de la mort l’an dernier. Voilà un film qui nous prémunit contre cet oubli que le Fou chantant évoquait dans sa chanson L’âme des poètes.
«Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leurs chansons courent encore dans les rues
La foule les chante un peu distraite
En ignorant le nom de l’auteur
Sans savoir pour qui battait leur cœur»
Comment oublier Charles Trenet? Il nous a laissé près de mille chansons, dont plusieurs immortelles, qu’on pense à Je chante, Y’a d’la joie, La mer, Boum!, Que reste-t-il de nos amours?, Douce France, L’âme des poètes, Le jardin extraordinaire. Tout ça de 1933, sa première apparition en duo avec Johnny Hess, à 1999, année de son dernier spectacle à la salle Pleyel.
Disposant d’une quantité impressionnante de films d’archives dans lesquels on le voit chanter, gambader, conduire de grosses bagnoles américaines, arroser son gazon en maillot de bain et répondre, sans faux-fuyants, à des questions souvent très indiscrètes, le documentaire Charles Trenet, l’enchanteur réussit à nous faire vivre les grandes étapes de sa vie.
Tout y passe. Comment la légende s’est construite en misant sur une bouille pimpante, des yeux ronds, un chapeau mou de guingois et des chansons aussi rythmées qu’heureuses. Les débuts flamboyants qui s’ensuivent et lui ouvrent les portes du cinéma. Ses amours homosexuelles. La guerre qui plombe son ascension. Ses activités sous l’Occupation. Ses années d’exil en Amérique. Son retour glorieux en France. Ses démêlées avec la justice pour détournement de mineur. Sa relation fusionnelle avec sa mère. Sa traversée du désert dans les années 1970. Sa résurrection dans les années 1980 grâce à un jeune producteur québécois.
Dans un extrait pour expliquer pourquoi il a accepté de reprendre le collier sous le management de Gilbert Rozon, Trenet dit: «Parce qu’il a du culot. Et parce qu’il ment très bien.»
Il faut le dire, le réalisateur Philippe Kohly a essentiellement privilégié les archives françaises. À part un court extrait de la chanson Dans les pharmacies tournée à Montréal et un autre de la visite du journaliste Raymond Saint-Pierre au domicile du chanteur à Narbonne en 1993, il est peu question du rapport de Trenet avec le Québec.
Soit! Ne soyons pas chauvins et apprécions ce portrait costaud. 1 heure 52 minutes avec un géant de la chanson française, c’est du temps bien investi. On pourra voir le film en ligne à compter du 16 mars et deux projections sont prévues au cinéma du Musée le 27.
Daniel Day Lewis, l’héritier
L’acteur britannique Daniel Day Lewis aura 65 ans le mois prochain. Il n’a pas attendu l’âge de la pension de vieillesse pour se retirer. Vous ne l’aviez peut-être pas remarqué, mais le lauréat de trois Oscars du meilleur acteur, un record inégalé, a disparu des écrans depuis cinq ans, depuis son rôle dans le film Phantom Thread (Le fil caché). Dans un document passionnant, les réalisateurs français Jeanne Burel et Nicolas Maupied racontent l’histoire de celui que le magazine Time a déjà qualifié de meilleur acteur au monde.
My Left Foot, A Room With a View, Beautiful Launderette, The last of the Mohicans, The Boxer, Gangs of New York, There Will Be Blood, Lincoln, etc.., on passe à travers sa phénoménale carrière cinématographique, et on est saisi par l’intensité avec laquelle l’acteur s’investit dans chaque projet, s’obligeant à des transformations physiques et mentales extrêmement exigeantes.
L’homme est rapaillé grâce à un choix d’extraits d’entrevues de fond que l’acteur a accordées au fil de sa carrière. Ce qui permet de «psychanalyser» le personnage. Les auteurs du documentaire veulent démontrer l’impact qu’a eu sur Lewis le fait d’être un produit de la grande bourgeoisie britannique: père irlandais, poète-lauréat de la reine Elizabeth, mère actrice à la BBC, grand-père maternel propriétaire d’un des plus grands studios de cinéma anglais. L’héritier du titre fait référence à ce bagage génétique que Daniel Day Lewis a combattu toute sa vie pour faire triompher les personnages tous plus différents les uns que les autres qu’on lui a demandé d’incarner au cinéma. Forcé d’être exceptionnel pour faire oublier ses origines, ses propres fêlures.
Le film sera disponible en ligne dès le 16 mars.
Jacques Tati, tombé de la lune
Quarante ans après sa mort, Jacques Tati, cinéaste français des plus singuliers, révélé par Jour de fête en 1949, revit grâce à un documentaire de Jean-Baptiste Péretié. Qui dit Tati, dit monsieur Hulot. Vous vous rappelez ce fameux personnage à la démarche sautillante, vêtu d’un imper, portant chapeau et parapluie, et affublé d’une pipe au bec? On a vu Jacques Tati lui prêter ses traits dans Les vacances de monsieur Hulot (1953), Mon oncle (1958) (Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1959), Playtime (1967), et Trafic (1971).
Jacques Tati, comme son émule Buster Keaton, travaillait les gags de ses films au millimètre près. Beaucoup d’archives témoignent du soin maniaque qu’il porte à chaque détail. D’ailleurs, presque la moitié du film porte sur le making-of du projet de sa vie, Playtime. Ce film, qui se passe dans une ville aussi moderne que désincarnée, il a mis trois ans à le réaliser. Il a cumulé 365 jours de tournage. À l’époque, ce fut le décor le plus onéreux de l’histoire du cinéma français. N’empêche, Playtime a été un échec commercial, acculant le cinéaste à la faillite.
Jacques Tati, tombé de la lune nous téléporte dans une époque où des réalisateurs, comme Tati, défendaient avec opiniâtreté une vision du monde, mais qui, tout à leur tâche, ne voyaient pas qu’elle était dépassée.
Le film sera disponible en ligne dès le 16 mars.
Jean de La Fontaine, l’homme qui aimait les fables
Quand je vous dis que la programmation du FIFA est un jardin extraordinaire, j’en ai pour preuve supplémentaire cet autre documentaire sur Jean de La Fontaine, L’homme qui aimait les fables de Pascale Bouhenic. La réalisatrice nous ouvre sur un monde fabuleux. La Fontaine, contemporain de Molière, Racine, Corneille, Perrault, s’inspire des Grecs pour ses histoires, à la différence que lui, il donne la parole aux animaux et aux insectes, qu’il a beaucoup observés, étant dans la vie maître des eaux et des forêts du duché Château-Thierry.
Son premier livre de fables, publié en 1668, est illustré par François Chauveau. Le film nous donne à voir un des exemplaires de cette publication que Madame de Sévigné vante à ses amis. «Faites-vous envoyer promptement les fables de La Fontaine, elles sont divines», dit l’influenceuse de son époque.
L’ouvrage compte 124 fables et 118 illustrations qui saisissent parfaitement l’enjeu de chaque histoire racontée par notre fabuliste. Et nous voilà partis dans une épopée qui montre, images à l’appui, combien l’œuvre de Jean de La Fontaine a traversé le temps, s’offrant une variété de représentations et d’interprétations. Et c’est la beauté de l’histoire, même si elles ont été écrites pour le fils d’un roi (Louis XIV), les fables Le corbeau et le renard, La cigale et la fourmi, Le lièvre et la tortue, Le chêne et le roseau, Le rat des villes et le rat des champs, La grenouille et le bœuf, traduisent encore aujourd’hui les travers de l’être humain.
Le film sera disponible en ligne dès le 16 mars.
Le musée et le milliardaire anticonformiste
À défaut d’aller à Paris ce printemps, je me suis payé une immersion dans la conversion pharaonesque de la Bourse de commerce en musée.
Le film Le musée et le milliardaire anticonformiste documente la transformation d’un site qui fut au fil du temps l’hôtel de Catherine de Médicis, une halle au blé et la bourse de Paris, pour devenir en 2021 le lieu d’accueil de la collection d’art contemporain du milliardaire français François Pineault.
Le chantier s’est étiré sur trois ans, de 2017 à 2020, sous la direction de l’architecte japonais Tadao Ando. La coupole est refaite à neuf, on restaure l’immense fresque au plafond de la rotonde, une structure de béton circulaire de 30 mètres de diamètre et 9 mètres de hauteur est érigée au centre de ce qui fut le parquet de la bourse. Il n’y a que les grandes fortunes pour réaliser de tels défis, et le film nous montre que Pineault veille à ce que cela soit fait à son entière satisfaction.
À travers ce récit de transformation architecturale, le milliardaire, 24e fortune mondiale, parle de ses origines modestes en Bretagne, de sa découverte de l’art, de sa préférence pour l’art contemporain qui bouscule. Sa collection compte 10 000 œuvres de près de 350 artistes. Le Festival international du film sur l’art, c’est aussi ça, c’est-à-dire nous faire découvrir ceux qui font vivre les artistes.
Le film sera disponible en ligne dès le 16 mars. Et pour le voir en salle, au Musée national des beaux-arts du Québec, le 19 mars, et au Centre canadien d’architecture, le 27 mars.
Je me soulève
J’ai gardé le film d’ouverture pour la fin. Je me soulève, du réalisateur québécois Hugo Latulippe, célèbre la poésie québécoise d’aujourd’hui. On y suit les metteuses en scène Gabrielle et Véronique Côté dans la mise au monde d’une création collective destinée au théâtre Le Trident de Québec. Les sœurs Côté veulent faire entendre la voix du Québec d’aujourd’hui, comme La nuit de la poésie a fait entendre celle de son époque.
Les textes qu’elles choisissent parlent des femmes, d’environnement, d’engagement, des enfants qu’on craint de mettre au monde. Et pour montrer que ce qui se trame en salle de répétition n’est pas coupé du monde, Hugo Latulippe nous fait entendre ces mêmes textes déclamés dans la vraie vie, notamment lors de la marche pour le climat en septembre 2021 et à l’Assemblée nationale par la députée solidaire Catherine Dorion. Cette dernière devait faire partie du projet Je me soulève, mais son élection l’a empêchée de poursuivre. Pour les membres de la troupe, la présence de leur collègue au parlement est la démonstration que la parole affranchie peut être entendue.
Je me soulève est un formidable portrait d’un mouvement en plein élan, jusqu’à l’arrivée de la pandémie du moins. Le film saura-t-il recrinquer le ressort? À suivre, à voir.
Je me soulève, qui fait partie de la compétition officielle du FIFA, sera présenté en première mondiale le 15 mars au Monument-National, et au Musée national des beaux-arts du Québec le 17 mars. En ligne dès le 15 mars.