La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Camarades de lutte, bonjour!

J’ai toujours pensé que la lutte pour le respect des droits des femmes, toutes les femmes – les migrantes racisées, les Autochtones, les plus vulnérables, etc. – devait se faire AVEC les hommes.



Devons-nous encore rappeler que le féminisme, avec ses différentes vagues, n’est pas un «courant» qui oppose les femmes aux hommes, qu’il vise plutôt à corriger le tir, à bâtir des ponts, et que la vraie résistance pour cette justice vient en général des messieurs, ceux au pouvoir, mais pas que.

L’Histoire nous aura appris que les hommes qui n’ont pas de pouvoir et qui en souffrent s’arrogent puissance et contrôle avec leurs places au boys club, à coups de regards concupiscents, de paroles déplacées, de mains baladeuses, voire, dans l’extrême, de féminicides.

Depuis toujours, l’indignation contre le carcan dans lequel on les a enfermés vient des femmes, habitées par le combat de leurs mères, par leur propre et légitime révolte. Trop d’entre elles y ont laissé leur peau. Et ce n’est pas fini. Ces dernières années, les réseaux sociaux auront eu de bon de leur donner une tribune efficace et forte, salvatrice même pour plusieurs dans la dénonciation des inégalités, abus ou agressions.

Suis-je la seule à croire que les choses bougent de plus en plus, à observer que des hommes se remettent en question, se critiquent, s’informent, etc.? Certes, il reste encore des lambineux, des réfractaires, parfois même des tatas, certains se targuant même d’être féministes. Or, fort heureusement, il y aussi des «survenants» qui, sans stratégie, sans dessein politique ou désir de jouer aux sauveurs émergent du lot pour dire tasse-toé-mononcle. C’est ce que vient de faire l’auteur-compositeur-interprète de 25 ans Émile Bilodeau qui, pour dénoncer l’absence d’artistes féminines dans la programmation du Festi-Plage de Cap-d’Espoir (ça ne s’invente pas), a annulé sa prestation prévue le 28 juillet.

L’auteur-compositeur-interprète de 25 ans Émile Bilodeau a annulé sa prestation prévue le 28 juillet au Festi-Plage de Cap-d’Espoir pour dénoncer l’absence d’artistes féminines dans la programmation. Photo: Facebook Emilie Bilodeau

Ça fait 1000 ans que les filles sortent pour dénoncer ce genre d’injustices, ça prenait bien un gars pour que tout à coup le monde s’énerve, que ça brasse la cage, que les médias en parlent. S’il y a, bien entendu, ceux qui déplorent que Bilodeau ait pu chercher à instrumentaliser la journée du 8 mars ou qu’il n’avait pas en main toutes les données pour s’insurger contre un petit festival qui tire le diable par la queue en pandémie, ce qui moi me fait bondir, ce sont les commentaires que j’ai pu lire sur Internet et qui, en dénigrant la démarche de l’artiste, en rajoutent une couche pour invisibiliser les femmes, leur faire ombrage, les victimiser.

D’un autre côté, ce que je retiens aussi de cette sortie, c’est que de jeunes hommes – dont certaines personnalités publiques – mettent non seulement leurs culottes pour dénoncer les injustices, à l’endroit des femmes dans ce cas précis (ou de la culture autochtone comme l’a fait Samian avec le Festival international de la chanson de Granby), mais qu’ils s’aperçoivent des bourdes en apparence inoffensives qui surviennent dans des programmations de festivals qui installés depuis longtemps n’avaient peut-être pas eu l’occasion ou l’idée de se remettre en question, de se questionner, de faire du ménage…

Le chanteur Samian a affirmé qu’il ne participerait pas au Festival international de la chanson de Granby puisque l’organisation lui aurait d’abord refusé de chanter dans la langue de ses ancêtres. Photo: Facebook Samian

Voir l’enjeu, le réel recul, s’y opposer fermement, c’est surligner au marqueur que ces impostures ne cadrent plus avec l’époque actuelle. Voilà donc ce qui me réjouit dans le comportement de Bilodeau: ce réflexe qui, j’ose croire, fera des petits et qui s’incarnera chez d’autres types qui ne sont certainement pas des gars parfaits ou irréprochables, mais qui, de bonne foi, j’en suis sûre, y voient là une obligation d’agir pour un futur à la hauteur de leurs aspirations profondes.

Il y a trois ans, un autre Émile, Proulx-Cloutier celui-là, y était allé d’un slam épatant pour rendre hommage aux femmes sur le plateau des Échangistes sur ICI Radio-Canada. Pour sa part, l’écrivain québécois Daniel Grenier a fait paraître en 2020 Les constellées, une réflexion sur sa position d’homme blanc privilégié, le récit autobiographique d’une année de lectures exclusivement féminines, dont plusieurs qu’il a contribué à faire sortir de l’oubli.

«[…] ces hommes perçoivent la valeur féministe pour eux-mêmes, et ils la défendent non parce que c’est politiquement correct, ou parce qu’ils veulent que les femmes les aiment, ni même parce qu’ils veulent l’égalité pour les femmes, mais parce qu’ils comprennent que le privilège masculin les empêche non seulement de devenir des êtres humains authentiques, mais aussi de connaître la vérité sur le monde. […] Ils offrent la preuve que les hommes peuvent changer», a écrit l’écrivaine et féministe américaine Kay Leigh Hagan, citée dans La volonté de changer. Les hommes, la masculinité et l’amour de la militante américaine et afroféministe bell hooks (son nom de plume, en minuscules), disparue trop tôt en décembre dernier. «Des hommes comme ceux-là sont nos véritables camarades de lutte. Leur présence dans ma vie me nourrit d’espoir», poursuit hooks dans cet essai nouvellement paru dans une excellente traduction française de Alex Taillard.

Bref, des postures à la Bilodeau et compagnie émergent. De l’aveu de certains, ils y vont à tâtons, inquiets parfois de passer pour des récupérateurs de causes ou d’avoir l’air de vouloir redorer leur blason, d’attirer la sympathie des filles. Je pense qu’il y a plus de nobles personnages que de vils manipulateurs derrière ces actes. Or, nos antennes restent alertes, toujours. On commence à être bonnes là-dedans. Fatiguées aussi, et usées par ces constants regards à jeter dans les angles morts pour qu’un jour nos suivantes puissent juste jouir du paysage, baisser la garde, libérées, enfin.