Stan Douglas à la Fondation PHI: le passé recomposé
Chers lecteurs, je sais que vous aimez particulièrement les galeries de photos historiques de ma collègue Marie-Lyse Paquin. C’est pourquoi cette semaine j’ai envie de vous amener sur ce terrain avec une exposition absolument surprenante présentée du 19 février au 22 mai à la Fondation PHI, dans le Vieux-Montréal.
Dans cette exposition, on peut voir deux séries de reconstitutions historiques de l’artiste de Vancouver Stan Douglas. La plus intéressante, au 465, rue Saint-Jean, fait revivre la gare de train Pennsylvania Station de New York, qui a été le cœur de la métropole américaine de 1910 jusqu’à sa démolition, en 1963, pour faire place au Madison Square Garden.
En utilisant la technologie d’images de synthèse, Stan Douglas recrée la splendeur du grand hall de ce bâtiment de style Beaux-arts réalisé à l’époque par la firme d’architectes McKim, Mead & White.
Dans ce décor numérique, l’artiste reconstitue neuf événements historiques qui ont eu lieu dans cette gare; qu’on pense à l’arrivée à New York, pour son procès, de la célèbre cambrioleuse Celia Cooney en avril 1924, ou celle, en août 1934, de l’organisateur syndical afro-américain Angelo Herndon, accueilli par des sympathisants communistes, deux événements qui attirèrent des foules très nombreuses.
Pour arriver à ces portraits hyperréalistes, Stan Douglas a réuni dans un aréna de Vancouver, en pleine pandémie, plus de quatre- cent figurants revêtus de costumes d’époque. Comme un réalisateur de film, il a dirigé ses troupes pour obtenir l’expression, le mouvement, l’action, les proportions souhaités. Ensuite, chaque personnage est intégré dans le grand portrait général, un peu comme le faisait William Notman à la fin du 19e siècle avec la photo composite. Un travail de moine, puisque tout est calculé, suivi d’ajustements méticuleux pour obtenir, à l’image, la lumière souhaitée.
Le résultat est stupéfiant. On se perd dans ces photos grand format à observer les innombrables détails qu’elles contiennent, en plus d’essayer de comprendre les histoires qu’elles racontent. Cela m’a rappelé les livres de photos mystères que j’empruntais à la bibliothèque quand mon fils était petit.
À la demande de l’artiste, la Fondation PHI présente les œuvres photographiques de Stan Douglas sans cartels explicatifs.
Reconnaissant que c’est très rare comme pratique et que ça peut être déstabilisant, la commissaire Cheryl Sim m’expliquait que Douglas souhaite que le visiteur fasse une lecture libre de ce qu’il a devant les yeux.
J’avoue que, personnellement, j’ai trouvé plus intéressant de m’abandonner aux photos en sachant ce qu’elles racontent, et encore plus en voyant comment l’artiste les a créées.
À cet effet, le making-of (en anglais) mérite d’être vu pour apprécier à sa juste valeur la démarche de Stan Douglas, un artiste hors-norme qui a obtenu la mission de représenter le Canada à la 59e Biennale de Venise en avril prochain.
La présentation de ces photos constitue une première au Canada, mais il s’agissait à l’origine d’un projet d’art public.
La commande est venue de deux organismes new-yorkais, l’Empire State Development et le Public Art Fund, dans le cadre de l’agrandissement de l’actuelle gare Penn Station, réalisé au coût de 1,6 milliard $, dont 6,7 millions sont allés à l’intégration d’œuvres d’art.
Le même corpus de photos que celui qu’on voit à Montréal, intitulé Penn Station’s Half Century, orne les murs des salles d’attente du Moynihan Train Hall depuis son inauguration en janvier 2021. Voilà un autre lieu à ajouter à la liste des nouveautés à découvrir à New York.
L’exposition Dévoilements narratifs de Stan Douglas à la Fondation PHI comporte un deuxième volet, présenté sur les quatre étages du 451, rue Saint-Jean, à raison de deux photos par étages.
La série Disco Angola, présentée pour la première fois au Québec, est plus conceptuelle. L’artiste s’imagine photoreporter dans les années 1970 tentant de traduire le début du mouvement indépendantiste en Angola, et parallèlement, les balbutiements de la mode disco à New York.
Douglas utilise le même procédé, c’est-à-dire qu’il recrée de toutes pièces ces histoires d’émancipation qu’il nous raconte en photos. Sans cartels, la proposition laisse un peu perplexe, mais on demeure néanmoins curieux de tout ce que ces clichés recèlent.
La Fondation PHI pour l’art contemporain célèbre cette année son 15e anniversaire. C’est fabuleux ce que cette institution culturelle a apporté aux arts visuels et numériques à Montréal, combien elle a contribué à faire du Vieux-Montréal une destination. Depuis 2007, elle présente, dans des installations d’une grande qualité architecturale et technique, des propositions extrêmement variées et toujours d’une grande pertinence artistique, et cela, sans qu’il n’en coûte un sou aux visiteurs.
La mécène Phoebe Greenberg a voulu que l’accès aux expositions qu’elle présente soit libre pour favoriser l’accès à l’art contemporain. Allez-y, il n’y a rien à perdre à être curieux.