La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Les phénix amoureux

J’ai un peu peur d’écrire sur l’amour. Ça sonne souvent cucul la praline. Ou fleur bleue. Fleur fanée d’un bleu délavé en ce qui me concerne.



Tant qu’à déprimer tout le monde avec mon cynisme gorgé d’histoires de séparations qui se perpétuent autour de moi au temps de la COVID, et après une récente lecture stupéfiante et anxiogène sur comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles (Réinventer l’amour de Mona Chollet), j’ai eu envie qu’on me raconte une joie, un beau récit de rencontre qui fonctionne entre deux êtres qui ont vu neiger, mais qui n’avaient pas perdu complètement espoir. Ça se peut encore, hein? Les papillons, les vertiges, les mains moites, les rêves, les envies dévorantes... Ça se peut? Malgré le passé déçu, les ruptures qui laissent des marques, les bains de larmes, la nostalgie suffocante, parfois aussi la violence et la toxicité? Est-ce possible de renaître, de rebâtir sur les cendres des vies d’avant?

J’ai rencontré des phénix: Martine et Martin.

J’ai eu envie de m’emballer. Je les ai écoutés me raconter leur joie tardive.

Alléluia.

Martine s’était dit qu’à 50 ans, au sortir d’une traversée de 10 ans dans un désert nécessaire et sans oasis, elle avait envie de rencontrer quelqu’un. Après un passage obligé sur un site de rencontres, elle a vu sa fiche à lui, Martin, à peine plus jeune qu’elle, père de grands enfants lui aussi. Eh oui… Martine et Martin. C’est presque quétaine. L’amour se bâtit souvent sur des monticules de quétaineries qui surpassent finalement les montagnes. Parce qu’à leur première rencontre dans un café de la rue Beaubien à Montréal, ils ont su qu’ils pourraient atteindre des sommets.

À leur première rencontre dans un café de la rue Beaubien à Montréal, Martine et Martin ont su qu’ils pourraient atteindre des sommets.

Il paraît que ça saute aux yeux parfois, que quand on rencontre l’autre, la douce moitié, l’âme sœur, le grand amour, appelez-le comme vous voulez, c’est comme si l’humanité entière avait comploté pour que ça survienne: le grand oumf qui vire le cœur de bord, l’instant suspendu pendant lequel ce n’est pas un ange qui passe, mais une fanfare en entier. Bref, Martine et Martin se sont aimés.

Et comme l’amour fait mal en général, au bout de trois ans et demi, alors qu’ils avaient quitté la ville et juste avant la pandémie, ils se sont quittés. Trop d’affaires à gérer chacun de leur bord, mais ce n’était que partie remise. Je pense qu’au fond, ils le savaient qu’ils n’arriveraient pas à vivre l’un sans l’autre.

Ils se sont rappelés et revus quelques mois plus tard. L’amour était intact. La pandémie les a effrayés. Ne voulant pas être séparés en respectant les mesures de je-ne-sais-plus quelle vague, ils se sont mariés après avoir acheté une maison en Estrie avec un coin de jardin pour y faire pousser des trucs et divertir leurs animaux.

Ne voulant pas être séparés, Martin et Martine se sont mariés après avoir acheté une maison en Estrie avec un coin de jardin pour y faire pousser des trucs et divertir leurs animaux.

Ils complétaient la phrase de l’autre en me racontant tout ça en novembre dernier. Rien à ajouter. «On passe notre temps à se dire qu’on est bien, qu’on veut vieillir ensemble, que c’est l’fun de vieillir ensemble, qu’on a la sainte paix. On y croit à ça, à cette simplicité, à cet amour-là.»

L’histoire de Martine et Martin m’est revenue en tête quand la formidable écrivaine Claire Legendre a parlé l’autre jour au spécial Saint-Valentin de l’émission Plus on est de fous plus on lit sur Ici Première de Lettre à D. Histoire d’un amour du philosophe et journaliste français André Gorz.

Le livre paru en 2006 commence par ces mots: «Tu vas avoir 82 ans. Tu as rapetissé de 6 centimètres, tu ne pèses que 45 kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait 58 ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais.»

Autour de la table derrière nos micros, on ne savait plus où se mettre. Nous aussi, nous venions de rapetisser de 6 centimètres, quasiment affalées au sol radio-canadien tellement ça nous avait ramassées de beauté. Surtout qu’on y croit à cet amour.

Il y a tant de démonstrations d’amour, de tounes, de poèmes, de lettres, de discours et patati et patata qui ne semblent pas crédibles. Quand on parle d’amour, il faut l’être. Plus que dans n’importe quel secteur. Prenez la politique, par exemple. Qui est vraiment crédible et de pure sincérité? Et ça passe, on s’y attend. En amour, c’est sérieux. Il faut être à la hauteur de ses paroles. André Gorz l’a été.

Photo: Fond André Gorz de l'IMEC, Wikimedia commons

«Récemment, je suis retombé amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide débordant que ne comble que ton corps serré contre le mien […] Nous aimerions chacun ne pas survivre à la mort de l'autre. Nous nous sommes souvent dit que si, par impossible, nous avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble.»

Le samedi 22 septembre 2007, André Gorz s’est suicidé à l'âge de 84 ans, en même temps que sa Dorine, atteinte d'une maladie dégénérative. Il lui avait fait le serment de partir avec elle.

Certes, les belles histoires d’amour ne doivent pas à tout prix finir de la sorte, mais j’aimerais croire encore qu’un homme aime ainsi une femme. Jusqu’à la fin.

À défaut d’amour, faisons-nous de la fondue au chocolat avec des fraises du Mexique, c’est mieux que rien pantoute.