Et si Mariana Mazza récitait Speak White…
Qu’on ne vienne jamais me dire que la poésie est moins essentielle que l’humour. Jamais. Et si quelques brillants vers font moins rire qu’une blague bien envoyée, cette blague, aussi peaufinée et pertinente soit-elle, n’aura jamais la puissance d’une poésie qui sait transformer la personne qui la lit, la rendre mélancolique ou heureuse, donner un sens à ses questionnements, panser quelques plaies aussi dans le silence d’une lecture qui fait grandir.
Si je compare aujourd’hui ces deux planètes, poésie et humour, qui sont apparemment aux antipodes, c’est qu’elles sont toutes les deux des forces culturelles de notre province au seuil d’un été où elles seront présentes, dans leurs festivals respectifs. La première, la planète poésie, la force tranquille, ne fait pas trop de vagues, ne vend pas suffisamment pour se maintenir la tête hors de l’eau, occupée par des créateurs dont la plupart, même les plus talentueux et reconnus, tirent le diable par la queue et manquent de reconnaissance publique. Quand s’organisent des festivals comme le Festival de la poésie de Montréal, qui bat son plein en ce moment même et jusqu’au 5 juin, nous n’en faisons pas grand cas. La seconde, la star parmi les stars, fait jaser, hurle quand ça ne fait pas son affaire, vend des billets de spectacle ad nauseam, fait rayonner le Québec par-delà ses frontières avec ses grands noms et ses festivals ultra-médiatisés, bref, en comparaison avec la poésie, elle s’en tire très très très bien.
Poètes et humoristes
Permettez-moi de rêver: imaginons un match parfait entre les deux planètes (non, je n’ai pris aucune substance illicite avant d’écrire ces mots…). D’ailleurs, dans ces élans poétiques, par écrit, à la radio ou sur scène, Jean-Paul Daoust, avec sa verve, sa manière colorée et singulière d’observer le monde donne déjà le ton à ce à quoi pourrait ressembler ce match que j’imagine. Entendre Mariana Mazza réciter Speak White de Michèle Lalonde, ça ne serait pas plate non plus. Et tous ceux qui n’ont pas réussi à obtenir de billets pour le fabuleux 887 de Robert Lepage pourraient réentendre les mots de Lalonde… sous un autre éclairage! Dans un genre différent, une planète qui n’est tout de même pas si éloignée, celle du slam, épouse les courbes fines de la poésie et le rythme trillant de l’humour. On connaît pour la plupart le Français Grand Corps Malade qui triomphe dans le genre, mais ici même au Québec, on ne s’en sort pas trop mal non plus avec des David Goudreault (celui-là même qui écrit de la poésie et des romans fort accessibles) et dernièrement, Amélie Prévost qui devenait la première Montréalaise et la troisième Québécoise à remporter la Coupe du monde de slam de poésie en dix ans.
Alors, non, la poésie ne sert pas qu’à passer le temps pour quelques intellos pelleteurs de nuages au fond d’une taverne du Plateau. Elle est partout pour qui sait la voir, s’en inspirer. Elle est là pour embellir le monde, qui en a bien besoin, elle est efficace pour se rendre meilleur et plus fort dans l’affrontement des murs qui s’érigent entre soi et son espoir du paradis. Pour se pratiquer à la goûter partout, cette poésie, au meilleur resto du coin ou en faisant l’amour, il suffit de s’entraîner avec les mots des autres. Parmi ceux-ci, des recueils d’ici lus dans les dernières semaines.
La mouche noire et la Saint-Jean
Notons d’abord Boîte d’images, septième recueil de poésie de Denise Boucher, qui créait, en 1978, et en faisant scandale, Les fées ont soif au TNM, et qui révèle une fois de plus une voix qui désarme, d’une lucidité imparable sur les souvenirs, le temps qui passe, la vieillesse, ce qui a changé et ce qui ne change pas. Cette femme qui a fréquenté Gaston Miron est de toutes les époques à la fois. Dans La forme du jour, Élise Turcotte exprime le décalage entre le monde qu’elle habite, et la frayeur de ce qu’elle voit et qui la dépasse. Il n’y a pas un mot de trop, et elle a le don de tirer savamment sur la ficelle déclencheuse de grandes émotions. Du grand art. Dans ces deux recueils, en filigrane, les échos de l’actualité sont présents. Une occasion de plus de réfléchir le monde autrement. Lundi dernier lors de ce Festival de la poésie de Montréal, était remis le deuxième Prix des libraires dans la catégorie poésie pour L’année de ma disparition à Carole David, qui explore dans ce splendide recueil l’absence des autres et la sienne aussi, le contenu du vide laissé par le départ, la mort, l’exil ou la fuite. Puis, je m’en voudrais de ne pas vous inviter à lire Découper le silence – Regard amoureux sur le haïku de Jeanne Painchaud, une de nos rares spécialistes de ces petits poèmes d’origine japonaise qui captent en quelques mots à peine la poésie d’un instant. Il s’agit du plus petit poème du monde, et elle nous le présente à travers ses propres haïkus et ses différents angles. En voici un très estival:
dans le verre de rosé
fête-t-elle la Saint-Jean
la mouche noire?
Bien que je baigne dans le monde des lettres depuis un bon moment, sauf dans mon adolescence fleur bleue, je n’ai jamais écrit un vers. Et, je m’en confesse, j’ai moi-même longtemps pensé que la poésie était réservée aux initiés, qu’il s’agissait d’une belle affaire abstraite. Et j’avais absolument tout faux. Il a fallu les mots d’auteurs de romans et de nouvelles qui donnent aussi dans la poésie pour me convaincre du contraire. Alors, les recueils se sont amassés sur ma table de chevet. J’ose même parfois parler de certains d’entre eux le soir, en direct sur ICI Radio-Canada télé, dans ma chronique du vendredi au TJ avec Patrice Roy. J’y ai déjà lu quelques vers de la jeune Chloé Savoie-Bernard pour son splendide recueil Royaume scotch tape, publié il y a quelques mois. Je ne crois d’ailleurs pas que ça se soit fait très souvent avant… Je ne crois même pas avoir dérangé qui que ce soit en le faisant. Comme quoi oser la poésie est accessible à tous, autant que l’humour, suffit parfois juste de changer ses lunettes pour mieux l’apprécier. Ça vaut aussi pour les enfants qui comprennent généralement mieux le sens d’un vers que celui d’une joke. Essayez pour voir.
JE CRAQUE POUR …
L'album The Hope Six Demolition Project de la rockeuse britannique PJ Harvey. C’est tout un projet auquel elle a pris part en visitant des pays en guerre et des quartiers défavorisés pour créer à partir de ses observations ce nouvel album «rentre-dedans», qui donne des frissons dans le dos. Celle qui est aussi poète (tiens, tiens…) séduit par sa lucidité et l’aspect journalistico-musical de sa démarche, qui n’a toutefois pas fait l’unanimité auprès de certains citoyens du quartier de la Community of Hope à Washington, qui clament que l’artiste aurait porté atteinte à leur intégrité en dépeignant leur univers d’une manière rude.