La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Chaplin en Suisse

Une tablée d’enfants avalant une soupe en parfaite synchronisation. Le mouvement est vif, comme une chorégraphie bien rodée. Au bout de la table, l’homme à l’abondante chevelure blanche semble s’éclater autant que la marmaille. Un repas comme les autres? Pas tout à fait. Le patriarche est l’une des plus grandes stars du 20e siècle et les bols sont… vides! Bienvenue dans le monde de Charlie Chaplin.



Je me trouve au Manoir de Ban, demeure acquise en Suisse par l’artiste en 1953, après être devenu persona non grata aux États-Unis. Ces images sont projetées dans la salle à manger familiale grâce à un montage réalisé à partir d’archives personnelles des enfants de la légende. La personne qui tenait la caméra ce jour-là, mais aussi la plupart du temps, selon Yves Durand, concepteur du musée? Oona, qui a épousé l’homme-orchestre de 36 ans son aîné à l’âge de 18 ans.

La visite a débuté dans le studio. À l’arrivée, le visiteur se retrouve dans une salle de cinéma, où est projeté un film de dix minutes présentant quelques scènes marquantes de ses 81 films et des informations biographiques. Quand le rideau tombe sur des images d’Easy Street, la rue où le jeune Chaplin a grandi, l’écran fait place à un décor digne d’un de ses films. Entre les personnages, les étals et les fenêtres, qui permettent de visionner des extraits de films inspirés par cette rue que Chaplin n’a jamais oublié, nous pénétrons doucement dans l’univers de son enfance modeste.

Photo: Marie-Julie Gagnon
Photo: Marie-Julie Gagnon

«C’est un enfant de macadam, entre barreaux d’asile et barreaux d’orphelinat parce que sa mère a une maladie mentale, raconte Yves Durand. Son père est alcoolique. C’est un homme de music-hall, comme sa mère. Il quitte la maison quand Charlie a trois ans. L’enfant se retrouve pris en charge par l’assistance sociale. Il apprend à danser et à faire le pantomime sur des chants de l’Armée du salut et de la musique d’orgue de barbarie, comme il l’écrit dans sa biographie. Il apprend son métier à la dure…»

C’est le Québécois Mack Sennett, de la Keystone, qui découvre l’artiste qui se produit en public dès l’âge de 9 ans, lors d’une tournée aux États-Unis au début des années 1910. En moins de deux mois, en 1914, il passe du statut d’inconnu à celui de célébrité. Bourreau de travail, il produit lui-même un film… deux mois après son premier succès! Il crée tout, du scénario à la musique, en passant par la réalisation.

Son passé lui sert d’inspiration. «Le vagabond va toujours prendre parti pour le plus petit par rapport au plus grand, par rapport aux lourdauds que sont les policiers, les banquiers, les aristocrates, les dictateurs et, bien sûr, le plus petit finit toujours par gagner contre le gros, dit Yves Durand. C’est toute la métaphore de David contre Goliath qui est présente dans plus de 70 films où l’on voit Charlot.»

Un musée hors catégorie

L’endroit n’a rien d’un musée classique. Ici, on peut toucher à tout (ou presque), et même devenir partie prenante des scènes qu’on découvre, en se coiffant par exemple de l’iconique chapeau melon ou en s’assoyant sur la chaise du barbier. «On met à contribution les sens de l’être humain pour être enveloppé dans son univers», explique Yves Durand.

Photo: Marie-Julie Gagnon
Photo: Marie-Julie Gagnon

Les statues de cire créées par Grévin s’intègrent parfaitement au décor sans jamais prendre le pas sur le propos. On se retrouve notamment dans une pièce du studio devant Buster Keaton au piano, puis dans une salle de bain du manoir avec Einstein, ami de Chaplin, tirant la langue devant le miroir. «Une personne s’occupe des cires, révèle le concepteur. Chaque jour, elles sont remaquillées et coiffées, puisque ce sont de vrais cheveux. Chacune vaut environ 50 000 euros!»

Le manoir

Photo: Marie-Julie Gagnon
Photo: Marie-Julie Gagnon

Si la visite du studio captive, c’est sans doute le manoir qui marque le plus. «Le mot-clé du manoir, c’est intimité, résume Yves Durand. C’est le fils, l’enfant, le père, le mari, le grand-père et l’ami des stars qu’il a accueillies. La presque totalité des stars du 20e siècles sont passées sur ce terrain, mais aussi son œuvre. […] Le manoir, c’est sa vie suisse. C’est l’homme et la star que tout le monde a connu et estime encore aujourd’hui.»

D’une pièce à l’autre, je suis happée par les vidéos d’archives familiales. J’aurais pu regarder en boucle celles qui se trouvent dans la salle à manger. L’extrait des Oscars présenté dans la chambre où Chaplin a rendu son dernier souffle le 25 décembre 1977 émeut également.

Vingt-quatre heures après ma visite, je suis toujours habitée par les émotions ressenties au fil de mes pas, et particulièrement par ces images captées dans l’intimité. Incapable de ne pas se mettre à faire le pitre dès que la caméra s’allume, Charlie Chaplin nous apparaît sous les traits d’un vieillard dont l’âme d’enfant dépasse constamment du «costume» d’adulte. On le voit faire la grimace, suivre un gamin en se dandinant et faire danser l’une de ses filles en agitant ses bras un peu comme il l’avait fait jadis avec ses célèbres petits pains.

Peu importe les scandales rapportés par les médias et autres ragots, il reste un artiste déconcertant d’humanité. C’est un homme aimant et aimé qui a fini ses jours à Corsier. Il se dégage une grande tendresse des images tournées par Oona. Et quand on voit le couple controversé s’éloigner dans le magnifique jardin de la demeure, main dans la main, comme dans un film, on se dit que les belles histoires d’amour ne sont pas qu’au cinéma.

P.-S. Je défie quiconque de garder les yeux secs pendant la visite. Et oui, le musée à lui seul vaut le voyage en Suisse!

Pratico-pratique:

  • Le musée se trouve à Corsier-sur-Vevey, non loin de Montreux. Si vous vous y rendez en transport en commun, sachez que la station d’autobus adjacente au musée porte le nom de l’artiste.
  • Coût d’admission: 23 francs suisses (30$ CDN) pour un billet adulte au prix régulier.
  • En plus du studio et du manoir, un restaurant permet aux visiteurs de casser la croûte.
  • On retrouve Charlot dans 74 des 81 films de Charlie Chapin.
  • Trente-cinq productions cinématographiques qui varient de 2 à 10 minutes ponctuent le parcours de Chaplin’s World.
  • Un clin d’œil: comme l’a fait remarquer la journaliste Josée Larivée, c’est un Québécois qui a lancé la carrière de Charlie Chaplin, un Québécois qui a conçu le musée qui lui est dédié et un Québécois qui en est le directeur général…
  • Plus d’info sur le site de Chaplin’s World. Pour plus d’info sur la Suisse, consultez le site MySwitzerland.com!

Notre chroniqueuse est l’invitée de Suisse tourisme et de SWISS airlines. Toutes les opinions émises sont 100% les siennes.


Pour en savoir plus

Où est Charlie? Au musée!

Louise Gaboury

16 avril 2016

Le Devoir