TripAdvisor, entre l’amour et la haine
La première fois qu’un employé d’hôtel haut de gamme m’a tendu une carte avec son nom en me demandant d’aller écrire un mot sur lui sur TripAdvisor, il y a quatre ans, je suis restée sans voix. «Si vous avez aimé mon service, allez le dire sur le site!» m’a-t-il demandé candidement, précisant qu’il était celui à avoir reçu le plus de commentaires positifs.
Depuis, des scénarios similaires se sont répétés à quelques reprises, au point que je ne m’en étonne plus. Certains employés chouchous toucheraient même des bonus pour avoir fait parler d’eux positivement sur TripAdvisor.
En 2016, le pouvoir du site est encore plus impressionnant. «Le site américain TripAdvisor, visité par quelque 315 millions de personnes chaque mois (7 millions en France), cumule plus de 290 millions d’avis et opinions de clients sur plus de 4,5 millions d’hébergements, de restaurants et d’attractions touristiques à travers le monde», a rappelé Le Parisien en janvier dernier.
«La raison de cet engouement est simple, écrivait déjà Le Plus en 2013. Les médias ne sont plus prescripteurs. Les guides ne sont plus prescripteurs. Mais un autre internaute, qui a le même vécu que soi, est prescripteur.»
Cette popularité a bien sûr entraîné quelques dérapages, comme en témoigne le journaliste à la suite d’une critique qu’il avait publiée. «Je reçois, par courrier privé, une invitation à revenir dîner avec la personne de mon choix... gratuitement, relate-t-il. Gratuitement, enfin presque: je comprends qu’en échange il serait préférable que je retire mon avis du site.»
Il raconte ensuite comment il a vu un autre commentaire négatif dilué par des avis positifs subitement publiés peu après le sien. «Les critiques ont visiblement été écrites par l’hôtelier lui-même, avec des profils nouvellement créés. Là, on ne demande pas à l’internaute de retirer son avis. Mais on le "noie" sous un flux d’avis positifs, dont le but est aussi de conserver la moyenne de l’hôtel.»
Le point de vue d’un hôtelier
Non, le site n’en est pas à une controverse près. Certaines poursuites ont fait couler beaucoup d’encre et le scandale des faux avis (et même des faux établissements!) a refroidi plus d’un touriste, même si le géant prétend aujourd’hui vouloir faire du ménage.
Certains contributeurs vont même jusqu’à tenter de se faire inviter en échange d’un commentaire positif, comme me l’a rapporté de vive voix, l’été dernier, la relationniste d’un établissement québécois très réputé (avis à ceux qui seraient tentés d’user du même stratagème: il n’avait pas fonctionné).
Malgré tout, pour bien des membres de l’industrie, TripAdvisor continue de s’avérer un allié précieux. «Il faut se l’approprier», avait confié un hôtelier au journal La Presse en 2013.
Si certains établissements ont une personne entièrement dédiée à répondre aux commentaires laissés sur le site, la plupart comptent sur les départements du marketing, des communications ou du service à la clientèle pour suivre les critiques et y répondre quand cela s’avère nécessaire.
«Si vous êtes un hôtelier ou un directeur d’hôtel, répondre aux critiques en ligne paie, littéralement», souligne une nouvelle étude de la Cornell University’s School of Hotel Administration rapportée par Skift. Selon cette étude, les revenus d’un établissement augmenteraient quand les réponses aux critiques sont publiées. Toutefois, la clé serait de ne pas répondre trop souvent, car après environ 40% de réponses, la vapeur se renverserait.
À l’Hôtel 71, à Québec, les employés ne remettent pas de cartes individuelles, mais on en glisse une avec la clé magnétique pour nous inciter à aller laisser un commentaire sur le site à la suite de notre expérience dans cet établissement quatre étoiles situé dans le Vieux-Port.
Dans un communiqué émis il y a quelques semaines, la relationniste Marie Morneau mentionnait que les deux hôtels de la famille Gilbert, le 71 et le St-Pierre, ont récemment été classés parmi les 25 meilleurs hôtels du Canada par TripAdvisor, qui s’appuie sur les commentaires laissés par les internautes.
J’ai profité de mon passage dans la capitale, la semaine dernière, pour poser quelques questions à Pascale Blanco, directrice des comptes et des réunions de l’Hôtel 71, où j’ai eu l’occasion de passer une nuit. Que se passe-t-il quand un commentaire négatif est publié? «D’abord, pour pouvoir laisser un commentaire, une personne doit avoir séjourné à l’hôtel, précise-t-elle. Il est arrivé que quelqu’un écrive une critique négative sans être resté ici.» L’hôtelier peut signaler la chose à TripAdsisor, qui fait aussi enquête. «Si c’est justifié, ils vont l’enlever.» Ce fut le cas cette fois-là.
Même si elle reconnaît que l’outil est à double tranchant - «quand un client fait une réservation avec Expedia, par exemple, et qu’il veut annuler, on ne peut rien faire, ce qui peut nous valoir un commentaire négatif» - il reste le plus souvent positif. «Certains clients nous disent qu’ils sont venus à cause de TripAdvisor.»
Si je me fie à toutes les mentions de TripAdvisor repérées sur les portes des établissements des quatre coins de la planète, les hôtels de la famille Gilbert sont loin d’être les seuls à trouver davantage de bons côtés que de mauvais.
Il m’arrive moi aussi de jeter un coup d’œil aux critiques laissées sur le populaire site. Cependant, s’il y a une chose que j’ai apprise au cours des dernières années, c’est bien l’importance de diversifier ses sources. Le bon vieux guide de voyage, le reportage journalistique et le billet de blogue sont autant de pistes que je continue de suivre pour tenter de me faire une meilleure idée d’un endroit. Pas vous?