Rita Lafontaine, celle qui avait les yeux rieurs
Comme journalistes culturels, parmi les personnalités avec lesquelles on a à faire des entrevues, il y a les agréables, même si d’une fois à l’autre elles ne se rappellent jamais jamais de nous, il y a aussi les malcommodes, souvent des prétentieuses petites «veudettes» de l’heure qui ne veulent rien nous dire ou qui répondent par oui et non comme si on leur faisait passer un interrogatoire de police, et il y a les super gentilles inspirantes personnes, les plus grandes, qui nous accordent un réel et sincère intérêt en nous regardant droit dans les yeux lorsqu’elles se forcent pour ne pas partir une cassette. Parmi celles-ci, dans mon livre à moi, il y avait en tête de liste Rita Lafontaine.
Une des dernières belles-sœurs…
Son départ inopiné, le 4 avril, à l’âge de 76 ans, j’avoue, me fait un pincement au cœur, comme j’imagine à tellement de Québécoises et de Québécois de plus d’une génération. Rita Lafontaine, avec son regard rieur et son profond amour des gens, était l’une des dernières Belles-sœurs – avec Denise Filiatrault, Nicole Leblanc, Odette Gagnon… – de la première mouture de 1968 de la plus célèbre des pièces de Michel Tremblay à être encore de ce monde. Elle jouait Lise Paquette, la fameuse amie de Linda Lauzon, fille de Germaine Lauzon. Le metteur en scène André Brassard a dès lors décelé en elle un immense talent, une véritable maîtrise du jeu, un respect pour cet art et aussi pour le public qui a aimé d’emblée la jeune comédienne originaire de Trois-Rivières qui faisait ses premiers pas sur scène à Montréal.
La dernière fois que j’ai fait une entrevue avec elle, c’était dans la foulée de la promotion des 40 ans de la création des Belles-sœurs, alors que dans un solo elle incarnait Nana, la mère de Tremblay dans Le paradis à la fin de vos jours. Humble, l’actrice espérait tellement être à la hauteur de ce grand personnage, ne pas déplaire à Tremblay dont elle était bien sûr devenue la muse, ne pas déplaire au public aussi. Seule sur scène… Ça l’angoissait un peu. Malgré le talent, malgré l’expérience, malgré l’amour incontesté du public qui aurait même payé pour la voir réciter l’annuaire téléphonique.
Ce public la suivait au théâtre parce que la voir à la télé, dans Les super mammies, L’auberge du chien noir, Le retour, ou au cinéma, dans une trentaine de films dont La grande séduction de Jean-François Pouliot, ce n’était pas suffisant. En chair et en os, Rita Lafontaine irradiait, autour d’elle émanait une aura de chaleur et de bonté. Pour vrai. Rien de surfait ou de fake chez cette actrice qui n’en avait pas que pour les projecteurs et les faux sourires aux caméras… Elle aimait ce qu’elle faisait pour les bonnes raisons, du moins c’est l’impression qu’elle me donnait chaque fois que je la voyais.
Le Québec sans Rita
J’imagine aussi que de jouer à ses côtés était un plaisir pour ses compagnons de scène. Donnait-elle des trucs à ceux qui lui demandaient, faisait-elle des blagues en coulisses durant les entractes, parlait-elle de son amoureux, le comédien Jacques Dufour – pauvre homme à qui certains médias ont téléphoné quelques heures seulement après son décès ( !!!)… –, avec les pupilles bien claires et brillantes? Je l’ignore, mais ce dont je suis certaine, c’est que son départ laissera un vide dans le monde artistique québécois.
Souhaitons qu’elle ait droit à tous les honneurs, commémorations et hommages qu’elle mérite. Il n’y en n’a pas des masses faites de ce moule-là; celui de la vérité et de la simplicité.
Mini consolation en apprenant son décès mardi matin tôt: elle est partie rejoindre sa fille unique, son «bijou», la belle et lumineuse Elsa Lessonini, elle aussi artiste, morte en 2013 à la fin de la quarantaine d’un cancer fulgurant. Tout en haut avec sa progéniture et les autres belles-sœurs, en collant les timbres GoldStars dans les beaux cahiers qui font rêver, pas de doute qu’elles en auront des affaires à se raconter. Ce coup-ci, nous ne serons pas là pour y assister…
Pour vous souvenir d’elle, sachez que ICI RDI rediffusera le documentaire Rita Lafontaine, en toute humilité aux Grands Reportages, jeudi à 20h et dimanche à 21h30, de même que l’entrevue qu’elle avait accordée aux Rendez-vous de Marie-Claude en mai 2007, samedi à 12h30 et dimanche à 19h30.
Je craque pour…
Vi, le quatrième livre et plus récent roman de l’écrivaine Kim Thuy, une chouchou du grand public à qui elle le rend bien. Ce roman profond et riche nous offre avec intimité et pudeur un hymne à la famille, aux ancêtres, à la différence, à la volonté de sortir des rangs et de déployer ses ailes, pourtant si fragiles et friables. Ce roman aussi orienté autour de la culture vietnamienne en est un grand qui marquera assurément les prochains mois, à commencer par ce printemps et l’été littéraire québécois.