La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Nous sommes tous des touristes

Il y a longtemps que j’ai cessé de prendre part à certains débats stériles. Quand quelqu’un me lance: «ça, c’est pour les touristes», je parviens même à réprimer le petit sourire en coin que j’ai si longtemps esquissé quand j’entendais ce genre de commentaire. N’empêche, je reste fascinée par cette propension qu’ont certains voyageurs à se croire au-dessus de la mêlée.

«Tourisme: action de voyager, de visiter un site pour son plaisir», selon Larousse. Que nous options pour le voyage sac au dos ou pour la formule «tout compris», pour moi, il est clair que nous sommes tous des touristes. Pourquoi en faire tout un plat? Que s’est-il passé pour qu’un mot a priori si positif puisse être aujourd’hui prononcé par certains avec une moue de dédain? Pourquoi vouloir à tout prix opposer tourisme et voyage alors qu’au fond, l’intention reste souvent la même?

«Si je me plais à me définir comme une "voyageuse", "baroudeuse" ou encore "aventurière", finalement, je ne suis qu’une touriste, mais je ne sais pas pourquoi, se faire appeler "touriste" sonne comme une insulte dans la sphère des backpackersreconnaît la blogueuse Cynthia Castelletti.

Je ne suis pas la seule à être agacée par le snobisme de ceux qui se décrivent comme de «vrais voyageurs». Dans son billet «Nous sommes tous des voyageurs», le Français Cédric Tinteroff du blogue Un voyage au Yukon (et ailleurs!) s’amuse à comparer quatre individus aux profils variés qui se trouvent au même moment au pied de la tour Eiffel. Sa conclusion? «Que nous soyons touristes en une ville, animateurs de colonie, encadrant d’un groupe de sexagénaires, homme (ou femme) d’affaires en déplacement, expatrié blasé, backpacker, sac-à-dosiste et tout autre, nous partageons le voyage, nous avons cette passion qui nous unit les uns aux autres. Il ne sert à rien de vouloir opposer les conceptions du voyage, de vouloir certifier, classer, départager, ranger, classifier, ordonner, conceptualiser à outrance. Un touriste est un voyageur. Un voyageur est un touriste. Un backpacker peut être un touriste qui s’ignore tout comme un touriste peut être un backpacker d’exception.»

«Le touriste n’est pas cet individu un peu rustre et moutonnier que l’on dépeint si souvent, écrit pour sa part le docteur en anthropologie sociale et culturelle, enseignant à l’université Paris-V et auteur Jean-Didier Urbain. C’est un voyageur complexe qui transporte avec lui ses désirs et ses rêves. Ses façons de voyager en disent long sur notre société et notre époque.»

Selon ce dernier, l’erreur est d’amalgamer le sujet et le phénomène, de ne pas distinguer le touriste du tourisme. «Le piège de cette confusion est qu’elle conduit à prêter au touriste les vices du tourisme: les méfaits environnementaux (aménagements et pollutions), les dévoiements culturels (réduction pittoresque et folklorisation), les impacts économiques nocifs (inflation et spéculation), les effets sociaux déstructurants (urbanisation et migration), souvent redoublés au surplus par le développement de trafics suscités par le goût du lucre, du luxe et de la luxure (sexe, drogue et casino)… Sur cette base, le voyageur se voit imputer des perversités en réalité issues de la manipulation et de l’exacerbation mercantiles de ses désirs et de ses rêves…»

Photo: Laura Liberal, Unsplash
Photo: Laura Liberal, Unsplash

Fuir les clichés? Pourquoi?



J’ai eu des préjugés moi aussi. Aujourd’hui, j’assume complètement ma «touristitude», prenant un malin plaisir à sauter à pieds joints dans les clichés. Après tout, le cliché d’aujourd’hui n’est-il pas le trait culturel cool d’hier? C’est l’excès de coolitude qui crée le cliché. Le cliché, lui, ne cesse pas d’être intéressant en soi.

Je suis une touriste et j’y prends un plaisir fou. Je mange du chocolat en Suisse, je bois du vin en France et je jette une pièce dans la fontaine de Trévi. Je suis une touriste candide, revendiquant le droit de m’extasier devant les merveilles du monde, même si je ne fais preuve d’aucune originalité en aimant les mêmes choses que les autres (et puis «les autres», c’est qui, au fond?). Je suis une touriste qui pèche par excès d’enthousiasme pour des choses vues 10 000 fois en photo. Cela ne m’empêche pas d’aimer AUSSI sortir des sentiers battus. Ignorer les clichés? Je ne vois pas pourquoi je bouderais mon plaisir.

«En somme, peu importe l’étiquette qu’on s’auto-attribue, à partir du moment où nous visitons un pays qui n’est pas le nôtre, NOUS SOMMES DES TOURISTES», croit Cynthia Castelletti.

«Il est facile de se croire inspirant alors qu’on ne donne que moqueries, conclut Cédric Tinteroff. Il est facile de se croire anodin alors qu’on influence. Il est aisé d’envier. Il est difficile d’être simplement dans l’acception, pas dans le jugement. Aucune façon de voyager ne peut (ni ne doit) survaloir. Aucun mode de voyage n’est mieux qu’un autre, plus valable, plus méritant.»

Alors, qui vient voir la tour Eiffel avec moi?


Pour en savoir plus

La dernière métamorphose du tourisme

Pierre Thibeault

13 avril 2016

BazzoMAG

Éloge de la fuite

Marie-Julie Gagnon

5 novembre 2015

Avenues