Marie-Thérèse Fortin: garder vive la mémoire de Gabrielle Roy
Entre Mémoires vives et Boomerang, la comédienne Marie-Thérèse Fortin revient au théâtre faire entendre la voix de Gabrielle Roy. Pour notre plus grand enchantement!
Le spectacle La détresse et l’enchantement, présenté au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) jusqu’au 10 mars, est un collage de textes extraits de l’autobiographie inachevée de la grande romancière née à Saint-Boniface au Manitoba. Dans ce livre publié à titre posthume en 1984, Gabrielle Roy revient sur sa vie d’enfant pauvre dans une province qui nie sa langue maternelle, sur sa relation fusionnelle avec sa mère, sur son métier d’institutrice, sur sa découverte de la France, de l’Angleterre, de la littérature et sur sa vocation d’écrivaine.
Avec sensibilité et doigté, le metteur en scène Olivier Kemeid a su parfaitement ponctuer dans le temps et l’espace ce texte plus littéraire que théâtral.
Seule sur scène pendant une heure et demie, Marie-Thérèse Fortin nous en livre 50 pages. Grâce à la magie du théâtre, la comédienne est à la fois Gabrielle, enfant et adulte, la mère, l’inspecteur d’école unilingue ou la logeuse parisienne. Il suffit d’un changement d’accent, de voix ou d’un accessoire pour créer l’illusion et donner vie à cette écriture tout en dentelle. Quelle palette! Et chapeau à sa mémoire vive!
Ainsi maitrisée, la forme permet au contenu très riche de cette confession de fin de vie de se déployer et de nous atteindre au plus profond de nous.
Dans les dernières pages qu’elle ait écrites, celle qui a nous a donné Bonheur d’occasion, Rue Deschambault, La petite poule d’eau, Ces enfants de ma vie, et tant d’autres, raconte son enfance, sa provenance, son errance. Mais au-delà de l’anecdote, aussi souvent dramatique qu’amusante, Gabrielle Roy nous parle de condition humaine. Du sentiment d’impuissance qui vient avec la pauvreté. De la dominance de la majorité anglophone sur les Canadiens français. De la condescendance des Québécois envers les francophones hors Québec. Du goût de vengeance que développe celui qu’on écrase. De la désespérance que l’amour peut engendrer. Du pouvoir de la reconnaissance.
La façon magistrale avec laquelle Marie-Thérèse Fortin porte ces mots, ce regard sur la vie, ces fragments d’histoire, nous démontre que, plus de 30 ans après sa publication, La détresse et l’enchantement demeure une œuvre des plus pertinentes.
Voilà un modèle de femme dont toutes les générations auraient avantage à s’inspirer. Ça tombe bien, le spectacle du Théâtre du Nouveau Monde nous ramène sur un plateau d’argent cette littérature empreinte d’humanisme qu’on a malheureusement un peu oubliée. Et on a juste une envie en sortant du TNM: lire du Gabrielle Roy.