La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Les lettres de ma mère: avoir 16 enfants et écrire l’histoire

Le Québec doit beaucoup aux femmes. Dans son nouveau film, Les lettres de ma mère, qui prend l’affiche cette semaine, le documentariste Serge Giguère nous en fait la démonstration en donnant l’exemple de sa mère, un modèle d’énergie créative, d’endurance physique et d’abnégation totale qui a donné 16 enfants à la nation. Ce portrait à hauteur de femme ordinaire se révèle être une formidable leçon d’histoire.



Si le témoignage d’Antoinette Vézina (1906-1975), mais qui signait Mme Hector Giguère, a pu se rendre jusqu’à nous, c’est parce que cette femme a trouvé le temps, parmi ses mille occupations, de documenter sa vie et celle de sa famille dans des lettres adressées à son aîné parti étudier pour devenir prêtre. Et aujourd’hui, son avant-dernier, né en 1946, en fait un film.

Photo: Les Films du Rapide-Blanc
Photo: Les Films du Rapide-Blanc

Une correspondance qui s’étend de 1946 à 1957

Dans une langue simple et belle, cette femme qui a étudié pour être maîtresse d’école fait la chronique familiale des Giguère d’Arthabaska. Avec 16 enfants, la mère de famille ne manque pas d’histoires à raconter à son garçon: les naissances, les mariages, les morts, les frasques des uns, les bons coups des autres, la besogne à abattre. Antoinette ne cache rien à son fils, pas même les difficultés financières.

Extrait du film Les lettres de ma mère Photo: Les Films du Rapide-Blanc
Extrait du film Les lettres de ma mère
Photo: Les Films du Rapide-Blanc

À travers ces confessions souvent inquiètes, on peut voir se profiler l’histoire d’une province qui vit sous le joug de l’Église, qui est à la merci de patrons anglo-saxons, où être malade peut vous ruiner, où l’éducation n’est pas encore un droit. Bref, le monde dans lequel ses enfants ont grandi.

Photo: Les Films du Rapide-Blanc
Photo: Les Films du Rapide-Blanc

Dans un ressort digne de la téléréalité, le documentariste Serge Giguère, âgé aujourd’hui de 72 ans, va à la rencontre de ses frères et sœurs toujours vivants pour partager avec eux cette vision que leur mère avait de la vie et de sa progéniture. Ces échanges donnent une dimension psychologique indéniable au film, car la fratrie n’est pas une tribu où tous sont égaux, comme en témoigne la réaction émotive de certains des enfants à des mots écrits il y a plus de 60 ans.

Photo: Les Films du Rapide-Blanc
Photo: Les Films du Rapide-Blanc

Un réalisateur patenteux

Pour illustrer cette conversation épistolaire, Serge Giguère a ressorti des images qu’il avait tournées de sa famille en 1975. Mais surtout, il a fait appel à son génie de patenteux. Il a traité des photos d’archives gonflées en format géant comme si c’était des poupées cut out et les a fait évoluer grâce à un procédé d’animation aussi rudimentaire qu’efficace dans un castelet de son cru. On le voit même à l’écran créer et manipuler ses accessoires. Et pour que sa mère soit très présente dans le film, il la fait apparaître en ombre chinoise, et c’est la comédienne Muriel Dutil qui lui prête sa voix chaleureuse. Ça donne un film extrêmement vivant et tout à fait original.

Photo: Les Films du Rapide-Blanc
Photo: Les Films du Rapide-Blanc

Ce portrait de l’archétype de la mère québécoise d’une autre époque est comme un grand buffet. Je vous mets au défi de ne pas reconnaître quelque chose de votre mère ou de votre grand-mère dans ce modèle de socle en apparence inébranlable. Moi, j’y ai revu, entre autres, ma mère buvant son Pepsi à la bouteille en faisant son repassage. Comme Mme Giguère. L’histoire, et la mémoire de celle-ci, c’est souvent une accumulation de détails réchappés du quotidien.