La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Le voyage rend-il plus heureux que les biens matériels?

Vous avez peut-être vu passer, vous aussi, cette étude réalisée par l’université Cornell, dans l’État de New York, qui conclut que les expériences rendent plus heureux que les biens matériels.



Selon les résultats, la valeur sentimentale des objets s’estompe avec le temps, alors que la joie qui nous envahit à l’évocation de souvenirs liés à un voyage ou une aventure hors du commun s’amplifie. Si l’on peut faire dire tout et n’importe quoi aux enquêtes (!), la question reste tout de même intéressante. Explorer rend-il plus heureux que se procurer un objet de désir?

Nous sommes inondés de récits de jeunes voyageurs sacs au dos qui ont trouvé le bonheur (et se sont trouvés eux-mêmes – j’en suis!) en explorant le monde. Les interviews de professionnels qui balancent carrière, maison et vie douillette pour partir à la conquête de leurs rêves font aussi régulièrement les manchettes, au point de devenir presque banales. Certains jugent bon de remettre les pendules à l’heure, toutefois. C’est le cas de Chanel Cartell et Stevo Dirnberger. L’histoire de ce couple d’Afrique du Sud a récemment fait sensation sur Buzzfeed (combien parmi vous l’ont partagée?). Au-delà des images idylliques publiées sur leur compte Instagram et leur blogue, leur quotidien sur la route est loin d’être toujours glamour.

Après six mois à parcourir la planète, Chanel et Stevo ont publié un billet intitulé «Why we quit our jobs in advertising to scrub toilets» («Pourquoi nous avons quitté nos emplois en publicité pour récurer des toilettes»). «Même si les derniers mois ont été les plus gratifiants, ils ont aussi été les plus sales et nauséabonds, et nous avons dû nous adapter à un niveau de vie plus bas et à moins de nourriture (et pas parce que nous sommes au régime)», écrivent-ils.

N’empêche, une fois ses tâches effectuées, le tandem est libre de faire ce qui lui plaît, comme il le rappelle à la fin du texte. Et, détail important pour des gens issus du monde de la création: ils ont le temps de réfléchir à leurs propres idées et de mener leurs propres expériences. Difficile, malgré tout, de prédire l’effet que les souvenirs générés par ces mois d’errance auront sur eux dans quelques années.

alt="voyage"

L’impact à long terme

Comme plusieurs, j’ai moi aussi ressenti le besoin de partir pendant plusieurs mois. Quatorze ans après ma plus longue période d’exil, je mesure un peu mieux l’impact de cette décision sur les années qui ont suivi. Si je suis plus critique face à ma propre culture, j’ai aussi vu mes priorités changer peu à peu.

Aujourd’hui, je me fiche bien d’avoir une minitélé (sur le point de rendre l’âme, d’ailleurs) et d’habiter un modeste condo en banlieue. Je ne possède ni piscine, ni voiture, ni meubles dignes d’un magazine de déco. Je préfère de loin m’offrir de bons repas au restaurant et voir du pays plutôt que d’investir en bibelots, bijoux ou autre montre Apple (par contre, je ne vivrais plus sans iPhone – à chacun ses faiblesses!). La plus grande révolution s’est toutefois effectuée dans ma penderie. Avant de faire du voyage mon mode de vie, je dépensais chaque année des milliers de dollars en vêtements et accessoires. Combien de paires de chaussures portées seulement une ou deux fois? Combien de robes commandées sur Internet oubliées au fond du placard? J’ai bien eu quelques «rechutes» au fil des ans, mais il me suffit de penser à cette plage sur laquelle je n’ai encore jamais joggé ou cette ville qu’il me tarde d’arpenter au lever du jour pour freiner mes pulsions d’ex-accroc du shopping.

Être propriétaire représente également un défi pour une nomade dans l’âme. Chaque fois qu’il est nécessaire d’effectuer des travaux ou de faire des achats pratiques, je ne peux m’empêcher de convertir les montants à payer en billets d’avion. Rénover le toit? Bye bye voyage à Bali! La laveuse tombe en panne? Et moi qui me voyais manger des tas de glaces en Italie…

Depuis que j’ai une famille, j’alterne entre les escapades et le quotidien typique de n’importe quelle mère. D’accord pour un minimum de confort, mais pas question de claquer tout mon fric dans un canapé hors de prix. J’ai besoin du mouvement comme d’autres ont besoin de sentir leurs racines plantées bien profondément. Un minimum de chaos m’est nécessaire pour pouvoir jongler adéquatement avec ce qu’on appelle la routine.

Sur la route, mes sens sont exacerbés. Je suis toujours prête à prendre une grande rasade d’exotisme. À contempler la page blanche d’un nouveau chapitre. J’aime quand tout est à créer. Sauter dans le vide en sachant que mes ailes se déploieront au bon moment. Oui, la vie est un livre dont vous êtes le héros.

Au retour, je souris en pensant à la (les) fois où je me suis perdue, aux rencontres qui ont découlé de mes maladresses et aux mille et une anecdotes abracadabrantes que je raconterai à mes petits-enfants. Nourrie par tous ces bouts d’ailleurs, je me laisse glisser dans la douceur du présent sans trop de résistance. De toute façon, je l’ai toujours dit: mon chez-moi, ce sont les gens que j’aime. Pas un lieu de résidence «permanent».

Alors, le voyage rend-il plus heureux que les biens matériels? Dans mon cas, la réponse est claire: aucune paire d’escarpins ne me comblera autant qu’un repas dégusté en bonne compagnie. Aucune robe griffée ne me procurera le bonheur d’un coucher de soleil à Koh Phi Phi ou d’une rencontre impromptue à Paris. Une voiture? Pour quoi faire? Je préfère de loin les longs trajets en train et marcher pendant des heures, quand c’est possible. J’ai compris il y a longtemps qu’on ne peut pas tout avoir, de toute façon.

Éphémères, tous ces moments? Au contraire: je les porterai en moi jusqu’à mon dernier souffle. Pourrais-je dire la même chose de chaussures Louboutin ou d’un écran géant?


Pour en savoir plus

Les voyages qui changent la vie

Marie-Julie Gagnon

25 juin 2015

Avenues.ca

Should you or should not quit your job to travel the world, that is the question

Marie-Ève Vallière

2 septembre 2015

To Europe and beyond

Goodbye Full-Time Travel, Hello Uncertainty

Dale

Angloitalian

A couple who quit their jobs to travel the world admit they scrub toilets to make ends meet

Megan Willett

5 septembre 2015

Business Insider