Chagall en couleur et en musique au Musée des beaux-arts de Montréal
Un coq qui plane au-dessus d’une ville aux toits enneigés. L’image m’interpelle en ce matin de bourrasques de neige. Nous sommes mardi, je suis au Musée des beaux-arts de Montréal.
Le coq, c’est le peintre Chagall ainsi qu’il aimait se représenter dans ses tableaux. Le paysage blanc de neige, c’est la région de Vitebsk en Biélorussie, où il est né, à mi-chemin entre Moscou et Saint-Pétersbourg. Cette toile qui monopolise mon attention est l’une des 340 œuvres de la nouvelle exposition Chagall, et pas la seule où les personnages flottent, gambadent ou dansent comme s’ils étaient des anges. Cet état d’apesanteur aura tôt fait de me gagner, grisé par les couleurs, emporté par la musique qui nous entoure. Je vous en promets autant si vous vous rendez à cette nouvelle exposition du MBAM qui fait la fête à un artiste multiforme.
Chagall sous toutes ses facettes
La dernière grande exposition consacrée à Chagall à Montréal remonte à 1988. Pour célébrer le retour de celui qu’on a déjà appelé l’ange-peintre, la directrice du Musée des beaux-arts, Nathalie Bondil, a eu envie d’une exposition aussi originale que totale. Ainsi, pour la première fois, Chagall est vu en fonction de son rapport à la musique, qui a été omniprésente dans sa vie. Et Nathalie Bondil aimant bien la célébration de tous les arts, l’exposition Couleur et musique fait une place de choix à toutes les disciplines que Chagall a pratiquées: la peinture de chevalet, le décor mural, l’illustration de livres, la lithographie, la sculpture, le vitrail, la mosaïque, les décors, les costumes de scène, la fresque. Voilà qui contribue à nous révéler un artiste qui, on en prend la mesure, est bien plus grand qu’on le pensait.
Dès la première salle, d’un rouge pétant, on tombe sur des marionnettes que Chagall a confectionnées pour un théâtre juif de Paris en 1949. On les dirait sorties du tableau d’à côté, Les arlequins (daté 1922-1944). Suivent une série de portraits de personnages jouant de la musique, la plupart du temps du violon, l’instrument fétiche de la culture juive. On expose d’ailleurs un violon décoré de quatre étoiles de David qui aurait appartenu à une famille bélarussienne comme celle de Chagall.
Un enfant de la communauté hassidique
«Ma famille appartenait à la communauté hassidique. La musique et la religion ont joué un rôle important dans l’univers de mon enfance et ont laissé une trace profonde sur mon œuvre comme tout ce qui fait partie de ce monde.» - Marc Chagall
L’hommage que Chagall rend à ses racines juives hassidiques dans ses tableaux des années 10, 20, 30 et 40, nous permet de percevoir autrement les rites de cette religion entourée de mystère et qu’on pratique encore dans notre ville, comme si le temps s’était arrêté pour cette communauté. Il y a dans les images que le peintre a fait surgir sur ses toiles, des souvenirs d’une société pieuse, tricotée serrée, portée à la fête, où la musique et la danse sont des extensions de la vie. En cela, ça ressemble aussi au Québec de nos ancêtres.
Un homme de couleurs, de formes, de matières
«Je ne représente rien, je veux que la couleur joue et parle seule.» - Marc Chagall
Le parcours de l’exposition nous conduit d’une surprise à l’autre. Ici, toute une ménagerie sur gouache pour illustrer une publication des Fables de La Fontaine. Là, encore des bêtes, en trois dimensions cette fois, parce que l’artiste s’est adonné à la sculpture et à la céramique. Et, autre salle, on revient à la peinture qui explose de couleurs saturées, de références constantes, de joie communicative.
Changement d’espace, BAM!, on tombe dans un tout autre univers, celui de la danse et de l’opéra, car Chagall a fait des décors et des costumes qu’on montre dans toute leur splendeur retrouvée, grâce à une restauration récente. On n’est alors pas surpris de voir que Chagall a travaillé sur le ballet L’oiseau de feu, l’opéra La flûte enchantée, le ballet Daphnis et Chloé, des œuvres parfaites pour titiller son imaginaire.
Re-BAM! quand on se trouve en présence de Chagall, l’artiste-verrier. Les quelques exemples de vitraux présentés donnent le goût d’en voir davantage.
Le plafond de l’Opéra de Paris
Le point d’orgue de cette visite, c’est le plafond de l’Opéra Garnier de Paris, que Chagall a peint dans les années 60. À la demande de son ami André Malraux, alors ministre de la Culture, l’artiste franco-russe a réalisé une toile de 220 mètres carrés qui évoque ses quatorze compositeurs préférés, du Français Berlioz au Russe Tchaïkovski, en passant par Beethoven, Mozart, Moussorgski et Ravel. Tout le processus entourant l’exécution de cette commande nous est raconté avec des documents de l’époque: photos, croquis, maquettes.
Et parce qu’on est en 2017, le visiteur peut aussi en faire une inspection minutieuse grâce aux images que le Lab de l’Institut Culturel Google à Paris a tournées en ultra haute définition, y allant de zooms et de travelings inouïs, et qu’on projette sur un écran géant et circulaire. Depuis son installation à plus de 60 mètres au-dessus de la tête des spectateurs de l’Opéra Garnier, c’est la première fois qu’un large public peut apprécier les détails de cette magnifique fresque. Quand je vous dis que cette exposition est une invitation à léviter!
L’exposition Chagall : couleur et musique sera certainement un immense succès populaire. On ne peut résister au tourbillon de couleurs, à la joie de vivre, aux souvenirs magnifiés d’un artiste qui a su garder son cœur d’enfant et nous fait retrouver le nôtre.
Mon coup de cœur
Luc Cousineau, Salut la vie!
Il y a quelque chose d’émouvant et d’exemplaire chez Luc Cousineau, ce chansonnier qui a mis du bonheur dans nos vies avec des chansons comme Vivre en amour et Comme tout le monde ou des ritournelles publicitaires dont la mémorable Il est parti prendre son Bovril...
Ce gars-là a 72 ans, vit depuis deux ans avec une maladie mortelle (la sclérose latérale amyotrophique) et il trouve l’énergie de lancer un disque qui agit comme une autre transfusion… de bonheur. Au fait, le mini CD s’intitule Salut la vie! Il compte cinq chansons inédites, écrites et enregistrées avant le diagnostic de la SLA. Les maquettes étaient assez avancées pour qu’il ne reste qu’à les enrober. Ce qu’a fait le réalisateur Michel Francoeur. On n’y voit que du feu, c’est le même Luc Cousineau, voix chaleureuse, maître de la mélodie et poète de l’amour, du bonheur et de la vie. Oh! sur les cinq titres, il y a bien deux chansons plus sombres, comme s’il avait eu une prémonition de ce qui s’en venait, mais ce Salut la vie! est un pied de nez aux mauvais pronostics. Sur Le temps d’aimer, il fredonne «attendons donc, que la vie nous surprenne, que le printemps revienne». Sur Full fatale, Luc Cousineau chante l’amour total. Et ça se termine avec Le cœur battant : «je m’envole sur un air de guitare». Oui, des Alexandrins à aujourd’hui, Luc Cousineau a été et demeure un troubadour, jusqu’au bout du chemin.
Je termine avec une anecdote. J’ai demandé à l’attachée de presse de Luc Cousineau, sa fille Karine, de me procurer les textes des chansons, car ils ne sont pas inclus dans la pochette du disque. Eh bien! Luc Cousineau, lui-même, s’est offert de transcrire la version finale des chansons en tapant les textes une lettre à la fois avec un clavier adapté pour les pieds. Je me répète: cet homme est émouvant et exemplaire. Salut, Luc! Salut la vie!