La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Céline…50 ans et toujours unique

«Céline Dion, ses looks les plus fous », «Céline n’est pas en studio», «Céline est atteinte de béance tubaire», «Pour ses enfants, Céline Dion se prépare à déménager», «Le changement de vie de Céline Dion», «Céline Dion a 50 ans: "Il n’est jamais trop tard pour se sentir bien"»… Il n’y a pas une journée qui passe dans le monde sans qu’un titre de journal traite de Céline Dion. Jamais. On la scrute, l’analyse, la commente, la juge, l’anticipe, la pleure, la porte aux nues. Dans le cœur de ses fans, très nombreux ici comme ailleurs, il y a Dieu, et juste en dessous, il y a Céline. Que dis-je? Il y a Céline d’abord. Il est presque devenu obsolète de dire son nom de famille parce qu’il n’y a qu’une seule Céline...



Photo: Facebook Céline Dion
Photo: Facebook Céline Dion

Quant à Louis-Ferdinand Céline, euh… «De quessé?» Il a signé son arrêt de mort depuis cette fois où, au Stade olympique, elle a chanté Une colombe pour le pape Jean-Paul II, chanson prémonitoire. Fallait le faire, à seize ans.

Fallait le faire aussi pour après – bien entourée, mais tout de même – accéder à des sommets inégalés en chanson populaire. Personne d’autre jamais n’a réussi à se propulser aussi loin dans le milieu culturel au pays.

Qu’on l’aime ou pas, Céline Dion est un modèle de réussite indéniable, elle qui partait de loin dans son modeste Charlemagne natal, alors qu’elle n’était pas plus intelligente, jolie ou dégourdie que les autres. On pourrait parler d’astres alignés, de la «magie Angelil» ou de voix d’or, parce que bien sûr, ça entre dans l’équation pour expliquer son succès phénoménal, mais il y a plus.

Pour qu’au début des années 80, une jeune femme unilingue française se démarque de la sorte – dans une société nord-américaine machiste sur les bords –, c’est de détermination et de persévérance qu’il faut parler, des qualités humaines qui, à mon avis, ne sont pas assez valorisées de nos jours. Loin de moi l’idée de faire ma «belle-mère» en culture, mais je précise qu’Internet n’existait pas quand elle a pris son envol, ni Facebook, Twitter ou Instagram. Elle n’a pas non plus fait voir de quel bois elle se chauffait sur YouTube ou sur Spotify. Bref, nulle plateforme ou avancée technologique pour la mettre de l’avant.

Retour à Vegas Photo: Facebook Céline Dion
Retour à Vegas
Photo: Facebook Céline Dion

Lui en veut-on d’être partie faire carrière à l’étranger, d’avoir osé chanter (aussi) en anglais, de porter des vêtements audacieux pour rigoler, d’avoir fait des enfants sur le tard avec un homme de plusieurs années son aîné, d’avoir un jour entamé le deuil de ce même homme décédé, d’avoir eu l’idée intrigante, mais pas aussi idiote qu’on a pu le laisser croire, de conserver une réplique en latex de sa main, puis de s’être montrée sentimentale avec un homme plus jeune qu’elle, un collègue-employé de surcroît? On a vu pire comme excentricités! À une autre époque, Sarah Bernhardt dormait dans son cercueil…

J’ai toujours trouvé étrange qu’elle puisse diviser autant au Québec. Elle n’a même jamais créé de scandale. Jamais Céline ne s’est fait prendre dans des magouilles pas claires: pas d’ivresse au volant, d’apparition en tenue légère de mauvais goût, de fraude gouvernementale, d’agression verbale, de défécation sur un tapis de motel... Céline donne aux enfants malades, Céline partage, Céline pleure à l’écran, Céline s’emballe, Céline rigole.

Photo: Facebook Céline Dion
Photo: Facebook Céline Dion

Elle est vraie, elle est sincère avec un talent de feu. Elle doit même sentir bon et être propre de sa personne, personne n’en douterait un seul instant. Que demander de plus pour la béatifier? Je me suis toujours demandé si la propension de certains Québécois à la ridiculiser, dont plusieurs membres d’une certaine intelligentsia, ne serait pas révélatrice de ce même trait qui nous fait stagner comme nation quand vient le temps de se choisir un.e. premier.e. ministre ou d’adopter un parti. Je laisse l’analyse aux sociologues ou aux anthropologues, mais je ne crois pas me tromper en admettant qu’avec Céline ou en politique, on tergiverse entre fierté et honte, appropriation et rejet.

Si tantôt elle est conspuée, l’instant d’après, elle est adulée. Si avant, c’était «cool» de rire de Céline, désormais, les «hipster» portent des chandails à son effigie, et ce n’est même pas pour faire de l’ironie. Safia Nolin aime Céline. Même Xavier Dolan aime Céline! Comment oublier le personnage de Steve, qui chante On ne change pas dans Mommy? Sûrement une des plus touchantes scènes du cinéma québécois des dernières années.

Céline avec Xavier Dolan Photo: Cashman photo Facebook Céline Dion
Céline avec Xavier Dolan
Photo: Cashman photo Facebook Céline Dion

Dans un entretien avec The Gazette, l’humoriste et chroniqueur Thomas Leblanc, qui monte avec son acolyte Tranna Wintour un cabaret burlesque multidisciplinaire bilingue intitulé Sainte Celine: A New, New Day, racontait qu’il l’écoutait d’abord pour rigoler, avant de se laisser prendre au piège et craquer enfin. Celui qui se décrit comme un «vieux milléniaux» estime aussi qu’il n’a jamais connu la vie sans Céline. Pour sa part, Wintour représente l’autre versant de ce rapport à Céline, celui dans lequel la populaire chanteuse lui a été «servie » de force. Présenté les 29 et 30 mars ainsi que le 5 avril au Wiggle Room, ce spectacle souligne aussi l’anniversaire de la star, qui célèbre ses 50 ans le 30 mars.

Sa chanson On ne change pas n’aura jamais été aussi collée à elle qu’en ce moment dans mon esprit. Céline reste pour plusieurs cette petite timide de Charlemagne qui s’illuminait quand elle chantait, qui a cru pouvoir soulever des montagnes. Chez Céline, il y avait tout ce courage et cette force insoupçonnée qui l’ont si bien fait vieillir. Pas comme une ringarde qui se braque. Au contraire. Céline est une quinquagénaire à l’image de tant d’autres qui savent vieillir – et ce n’est pas qu’une question d’argent ou de célébrité, bien que ça aide. Il s’agit plutôt d’une affaire d’intégrité, d’authenticité et d’intuition. Cet anniversaire, c’est aussi celui de celles et ceux qui osent et avancent, fidèles à ce qu’ils sont.

Je craque pour…

Ariane de Myriam Leroy, éd. Don Quichotte

Bien sûr, à douze ans, nous étions à peu près toutes coincées dans cette zone brumeuse où l’on ignore la différence entre une pensée propre et le rabâchage péremptoire des opinions des autres. 

Premier roman de la journaliste belge, Myriam Leroy, cette histoire en est une d’amitié, d’abord en apparence banale, entre deux copines de classe, des adolescentes comme toutes les autres. Là où ça se corse, c’est quand cette histoire en devient une, très sournoise, de domination, de possession et d’empoisonnement graduel… Une histoire de vie et de mort. Un tour de force haletant à lire pour celles et ceux en quête de sensations fortes graduelles…