La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Abitibi: on est dans le champ!

«L'Abitibi? Mais qu'est-ce que tu vas faire là-bas?!!» Je ne sais pas combien de fois on m'a posé la question (généralement avec un petit sourire en coin) quand j'ai annoncé que j'allais passer un long week-end dans la Vallée-de-l'or. «Apporte ta tuque et ton chasse-moustiques!»



Le soir de mon arrivée, il y a tant de bestioles volantes que je dois constamment agiter la main devant mon visage, seule partie de mon corps exposée à leur gourmandise. Deux jours plus tard, plus aucun moustique, mais les voitures sont recouvertes de givre au petit matin... Des clichés, certes, mais fondés sur certaines réalités, tout de même.

Ce que je faisais en Abitibi-Témiscamingue, donc? Je prenais part à une «opération de charme» menée par l'office de tourisme de la région. Cinq autres blogueurs ont, comme moi, été invités à découvrir un petit bout de territoire - qui couvre 57 349 km2 au total* - en compagnie des meilleurs ambassadeurs de chacune des localités.

Dans mon cas, l'opération a commencé il y a trois ans, quand j'ai échangé pour la première fois avec Anne-Marie Belzile, responsable des relations de presse de Tourisme Abitibi-Témiscamingue. Cette ex-journaliste, fière de sa région natale, a su piquer ma curiosité bien avant que les moustiques me piquent au sens propre**. Je l'ai croisée l'année suivante, puis l'autre d'après... Résultat: cette année, j'étais mûre pour découvrir ce lointain coin de pays qui m'intriguait de plus en plus. Et préparée à affronter n'importe quel insecte et température quasi-hivernale même au mois de mai (*musique de superhéroïne dans le tapis*)!

La fascination de l'or

Par quoi commencer? Par le village minier, bien sûr! Bourlamaque fait aujourd'hui partie de Val-d'or. «Howard Hughes, qui était actionnaire de Lamaque Gold Mines, aurait dormi ici, lance Anne-Marie en pointant ce qui s'appelle aujourd'hui le Gîte Manoir Lamaque. C'était la guest house. C'est ici que séjournaient les invités de marque.»

Le lendemain matin, je passe aux choses sérieuses: je veux toucher de l'or! Me voici dans la «salle des pendus», au milieu de dizaines de combinaisons accrochées en hauteur... comme des pendus. «C'est pour les faire sécher après une journée de travail, explique la guide, Marie-Carmen. Les mineurs devaient ensuite quitter la pièce nus, afin de s'assurer qu'ils ne cachaient pas d'or...»

Photo : Marie-Julie Gagnon
Les combinaisons accrochées en hauteur... comme des pendus. Photo : Marie-Julie Gagnon

Munie d'un casque et d'une lampe frontale alimentée par une batterie qui pèse une tonne (bon, peut-être pas... mais presque! D'ailleurs parlant de poids, sachez que les lingots d'or sont très lourds, alors tous les films dans lesquels des voleurs s'enfuient en transportant leur butin en courant n'ont aucune crédibilité aux yeux des mineurs!), je monte à bord de la navette et pénètre dans la mine. Non, rien à voir avec les prospecteurs qui scrutent le fond des ruisseaux: ici, les journées se déroulent au frais, sous la terre.

La mine a été exploitée de 1935 à 1985, après que Robert C. Clark, un prospecteur américain accompagné du guide amérindien Gabriel Commandant, ait découvert une veine d’or dans le canton Bourlamaque. L'endroit est accessible au public depuis le milieu des années 1990.

Quelque 91 mètres plus tard, j'éteins ma lampe pour «voir» la vraie noirceur. Aucun faisceau de lumière ne peut pénétrer à une telle profondeur. J'apprends par la suite que l'or n'a pas du tout l'air de l'or (!) quand on le trouve. «Il ne brille pas!» Qu'il est plutôt jaune moutarde. Que la plus grosse pépite trouvée sur le site avait la taille d'un poing. Que les mineurs avaient un sacré sens de l'humour, aussi, laissant un gant enfoncé dans le sol pour faire croire aux nouveaux que leur prédécesseur était toujours coincé sous terre... Ce ne sont pas tant les techniques utilisées pour extraire et analyser les carottes qui me passionnent que d'imaginer le quotidien de ces hommes de tous horizons évoluant dans un espace clos une douzaine d'heures par jour. De retour à la surface, je bombarde mes hôtes de questions.

L'époque de Chaplin

Il fallait tout de même être drôlement motivé pour venir s'installer à 525,3 km de Montréal. Pour vous mettre en contexte, la mine a commencé à être exploitée l'année où The Modern Times de Charlie Chaplin a pris l'affiche. Fred Astaire, Shirley Temple, The Carter Family et Bing Crosby se disputaient alors les premières places des palmarès musicaux. Hitler rétablissait la conscription. On connaît la suite.

«On a donné le choix à certains de venir coloniser l'Abitibi ou d'aller à la guerre», raconte Anne-Marie. D'autres ont été attirés par le fort potentiel de la mine. Tous ont eu accès à un certain confort, plutôt élevé pour les standards de l'époque. Il faut dire qu'en 1935, le maire est aussi le directeur de Lamaque Gold Mines. Il a donc tout intérêt à ce que les citoyens soient satisfaits de leur sort!

Les maisons de Bourlamaque ont l'électricité et l'eau courante. «Les maisons étaient louées 50$ par année aux mineurs, tous services compris, même la tonte de la pelouse et l'entretien des plates-bandes!» précise Kristel Aubé-Cloutier, coordonnatrice à l'accueil touristique de l'Office de tourisme et des congrès de Val-d'or. La ville avait même son cinéma, où l'on présentait aussi des spectacles, dès 1936 (le premier long métrage a été diffusé deux ans plus tard)!

Photo : Marie-Julie Gagnon
Photo : Marie-Julie Gagnon

Au cours des années 1930, le Canada voit déferler des hordes d'immigrants des pays d'Europe de l'est. Quelques dizaines débarqueront à Bourlamaque. Difficile d'imaginer une ville de cette taille avec autant d'accents, particulièrement à cette époque. Pourtant, les traces du passé sont bien visibles. Certains bâtiments témoignent encore aujourd'hui de l'arrivée des Ukrainiens (venus au cours des années 1930, mais aussi entre 1945 et 1952), comme l'église qui accueille toujours les descendants de cette communauté. Plus loin, une ancienne église orthodoxe russe datant de 1954 voyait s'entasser une centaine de fidèles tous les dimanches pendant... huit heures. «Des Solvaques, des Roumains, des Bulgares, des Hongrois, des Russes, des Polonais, quelques Italiens et des Belges sont aussi venus travailler à la mine», rappelle Kristel.

Multiculturalisme et glamour

Comment tous ces gens parvenaient-ils à communiquer? Aucune idée. Ce que je sais, par contre, c'est qu'encore aujourd'hui, les jeunes raffolent du saucisson Kolbassa de la Charcuterie du Nord. «Le premier propriétaire était surnommé "Le Polok", raconte Kristel. Il était d'origine tchèque.»  Je sais aussi que dans ce gigantesque territoire, où des autochtones habitent depuis 8 000 ans, l'or a entraîné son lot de légendes. Que plusieurs épisodes de l'histoire de ce coin de pays semblent avoir été oubliés, par exemple que de nombreuses stars sont venues dans la région avant même la création de Bourlamaque.

Quand on pense qu'au cours des années 1920, Rita Hayworth, Lana Turner, John Wayne et Kirk Douglas étaient les têtes d'affiche de films tournés dans le secteur du Sentier pédestre Grande Chute, au Témiscamingue, la région se pare soudainement d'une aura glamour. Mariée à  Bob Topping, actionnaire du club de baseball des Yankees de New York, Lana Turner possédait même une résidence près de ce qu'on a baptisé les rapides d'Hollywood!

Et si on avait tout faux avec nos clichés? Et si l'Abitibi-Témiscamingue renfermait plus de surprises qu'on l'imagine? Je me demande quand même comment John Wayne se défendait contre les moustiques...

* À titre comparatif, les Pays-Bas ont une superficie de 41 530 km2.

** Je délire, avec mes moustiques, mais j'en ai vu seulement le premier soir sur quatre jours!

P.S.: Pour ceux qui se posent la question, non, je n'ai pas eu besoin de quitter la salle des pendus dans le plus simple appareil. 🙂

J'étais l'invitée de Tourisme Abitibi-Témiscamingue. Merci à Kristel et Nancy de Tourisme Val-d'or pour leur fabuleux accueil et à Anne-Marie Belzile pour sa persistance!