La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Modification du statut de l’artiste: dépôt du projet de loi 35 (enfin!)

Quelque chose d’historique est en train d’arriver dans le monde culturel québécois. Quelque chose qui n’existe pas comme tel ailleurs dans le monde. Même pas chez les Scandinaves, non, non.



L’écrivaine et scénariste Suzanne Aubry ne cache pas son enthousiasme, récoltant les fruits de plus de 15 ans d’efforts pour faire adopter la loi 35 visant à moderniser la loi actuelle et désuète sur le statut de l’artiste, qui n’a jamais été avantageuse pour les écrivains, entre autres, alors qu’il en est autrement pour des artistes d’autres secteurs (comédiens représentés par l’UDA, musiciens, par la GMMQ, etc.) couverts, eux, par une autre loi.

Oui. Deux lois chez les artistes. Pfff. Grosso modo, c’est comme s’il y avait deux classes d’artistes au Québec: ceux qui peuvent bénéficier d’ententes collectives, et les autres, en littérature, en arts visuels et ceux des métiers d’arts, plus ou moins encadrés et dépendants du bon vouloir des instances avec lesquelles ils négocient. La réunion des deux lois permettrait enfin un encadrement adéquat et plus juste pour tous.

Ainsi, bien avant d’être présidente de l’UNEQ (Union des écrivaines et écrivains québécois), l’élégante et passionnée Suzanne Aubry, au ton posé et très efficace, qui avait déjà négocié pour les scénaristes comme présidente de la SARTEC (Société des auteurs de radio, télévision et cinéma), trouvait inconcevable que les écrivains ne soient pas, comme les scénaristes de la SARTEC, protégés par des ententes collectives, qu’il fallait que ça change!

«C’était considéré comme naïf à l’époque, on me disait qu’il n’y avait pas de volonté politique de modifier la loi, que les écrivains, la littérature, bah…», se souvient-elle. Ces quatre dernières années, avec l’arrivée aussi de Laurent Dubois à la direction générale et de membres motivés à l’UNEQ, c’est revenu au cœur des priorités de cette association dont la devanture donne sur le carré Saint-Louis, et dont je fais partie aussi.

Ode aux écrivains

C’est ici que mon jupon va commencer à dépasser. Comme c’est souvent le cas dans l’Histoire des journaux, en plus d’être journaliste, ce n’est pas un secret pour personne, je suis écrivaine, c’est-à-dire qu’une partie de mes revenus proviennent de mes droits d’auteure et d’activités liées à mes publications et conférences.

J’aime la plupart des écrivaines et écrivains québécois, je les côtoie, je les lis, je les interviewe depuis plus d’une vingtaine d’années et certains – y compris des éditeurs – sont même devenus de très bons amis, d’où le fait que je préfère faire des recensions de titres qui m’ont séduit plutôt que des critiques de textes de mes pairs que je croise trop souvent pour assumer des avis qui seraient négatifs sur leurs écrits. D’autres qui ne portent pas les deux chapeaux sont mille fois mieux outillés pour le faire.

Je suis à même de constater qu’ils sont précieux à notre société; qu’ils soient essayistes, nouvellistes, bédéistes, romanciers, dramaturges ou poètes, en ce sens que leurs idées, histoires, réflexions nous élèvent, singularisent notre nation, participant même à sa distinction à travers la francophonie, voire à travers le monde entier, valorisant notre langue française, il va sans dire. Ils doivent être lus et entendus dans les médias parce qu’ils «emmieutent» le monde, dressent un portrait de notre époque, de ses maux, failles, tendances et valeurs. Leurs visions nous changent des mauvaises nouvelles, des faits divers, de la violence, du gros divertissement et du culte voué aux douze mêmes vedettes d’ici à qui on tend le micro pour entendre leur avis de privilégiés sur tout et rien.

Photo: Art Lasovsky, Unsplash

Un projet de loi attendu

Assurément, je veux le bien des écrivains. Le nôtre. Il en va du mieux-être de notre société et de son rayonnement. C’est donc avec réjouissance que j’accueille le récent dépôt par la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, de ce projet de loi 35 qui aurait un impact sur l’ensemble du secteur culturel, et qui récolte l’appui des principales associations d’artistes (l’APASQ, l’AQAD, l’ARRQ, la GMMQ, la FNCC–CSN, la SARTEC, TRACE, l’UDA et l’UNEQ), qui représentent plus de 26 000 travailleuses et travailleurs au Québec.

«Il existe déjà de bonnes pratiques contractuelles, mais pas toujours. Les auteurs nous montrent des contrats d’édition qui ressemblent à n’importe quoi, avec, par exemple, des cessions de droits à perpétuité. Cette adoption de la loi nous permettrait de négocier des bonnes clauses pour tout le monde», commente Suzanne Aubry.

Je vois mal comment il pourrait y avoir de perdants dans ça si tout le monde y prend part de bonne foi, désireux de respecter le travail de l’artiste comme il se doit. Pas d’artiste, pas d’œuvre d’art, pas de spectacle, pas de livre… Toute la chaîne s’écroule sans l’artiste. L’écrivain pourrait-il rêver à être mieux payé – enfin –, que je m’empresse de demander? Reste à voir sur ce point, mais une chose est sûre, il sera plus difficile pour un éditeur de payer moins de 10% de droits à ses auteurs, comme il arrive parfois.

À compte d’éditeur, le site de l’UNEQ précise que le tarif minimal de 10% du prix de vente au détail jusqu’au 5 000e exemplaire vendu devrait être remis à l’auteur. 5% pour un auteur et 5% pour un illustrateur dans le cas d’un travail conjoint. Les négociations pourraient mener à des ententes plus avantageuses sur des avances ou sur l’adoption de taux escalatoires, c’est-à-dire un taux de redevances qui progresse en fonction du nombre de livres vendus.

Autre grande victoire pour le milieu du livre – ça sent les élections! –, les honoraires des artistes et écrivains participant au programme La culture à l’école (ceux qui visitent vos enfants dans leurs classes grâce à ce programme gouvernemental provincial) viennent d’être haussés de 58%! Tadam! Ils passeront de 325$ à 515$ par jour, et seront indexés de 2% par année jusqu’en 2025-2016. Ça faisait très, très longtemps que les tarifs n’avaient pas bougé de ce côté, et certains auteurs et illustrateurs jeunesse ne gagnent leur vie qu’avec ses rencontres scolaires.

Pas que pour les écrivains

Ça, c’est pour le monde littéraire, qui se réjouit aussi en compagnie des autres associations que le projet de loi introduise des dispositions en matière de harcèlement psychologique et sexuel et qu’il confère de nouveaux pouvoirs au Tribunal administratif du travail, notamment pour encadrer la négociation d’ententes collectives, le recours à la médiation en cas d’impasse et l’arbitrage de griefs visant l’application conforme des ententes négociées, comme elles le souhaitaient.

«On avait plusieurs demandes très précises, dont certaines qui n’étaient pas clairement indiquées dans la loi, mais en discutant avec des gens du cabinet de la ministre, on a pu voir qu’il y a des articles qui permettraient d’y accéder. Par exemple, l’accès au droit à des conditions minimales pour tous les secteurs en musique. Certains groupes ne sont pas couverts en ce moment, comme les artistes dans les hôtels et restaurants. Certaines clauses encadreraient leurs conditions de travail», estime Luc Fortin de la Guilde des musiciennes et des musiciens du Québec (GMMQ).

Des questionnements

La Guilde comme les autres associations expriment aussi certaines réserves, notamment quant à l’article 68.6 conférant au gouvernement le pouvoir d’imposer, par règlement, des conditions minimales de travail pour l’ensemble d’un secteur artistique donné, ainsi que l’absence de mécanismes de reddition de comptes assurant le respect de conditions minimales de travail par les producteurs bénéficiaires des subventions de l’État et de ses organismes publics. Le point reste en suspens.

Le gouvernement sera-t-il en mesure de tenir sa promesse d’ici la fin de la session parlementaire, le 10 juin? «Confier l’étude du projet de loi à une autre commission parlementaire que celle qui est dédiée à la culture et l’éducation, comme il a été suggéré par l’opposition, serait judicieux», soutient l’UNEQ.

Pour vrai, ça fait plus de 34 ans que certains encadrements, jugements, prises de décisions entourant le travail de plusieurs artistes sont boiteux. Il est plus que temps d’y voir, et encore plus au «sortir» d’une pandémie qui a pu démontrer à quel point les arts ont manqué aux gens, à quel point les livres ont permis de garder bien des âmes à flot.