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Retourner sur les bancs d’école, résidence étudiante incluse… à 58 ans!

Joanne Brouard a été à la tête d’une maison d’édition de magazines professionnels, puis adjointe aux ressources humaines dans un établissement de santé de Montréal avant de tout lâcher pour aller étudier les arts visuels à temps plein au Cégep de Rivière-du-Loup, résidence étudiante incluse… à 58 ans!


Avenues.ca: Quelles sont les grandes lignes de votre parcours scolaire et professionnel?

Joanne Brouard: Dans les années 1970, on pouvait intégrer le marché du travail avec un secondaire 5. J’ai fonctionné avec ça pendant un bout de temps.

Vers la fin des années 1980, alors que j’avais 27 ans, je suis déménagée en Ontario avec l’objectif de devenir parfaitement bilingue.

Je suis revenue au Québec environ un an plus tard pour occuper un poste d’animatrice télé pour la télévision régionale, à Saint-Hyacinthe.

Je suis retournée vivre en Ontario quelques années plus tard. Forte de mon expérience en télévision et grâce à mon bilinguisme, j’ai obtenu un poste de rédactrice dans un magazine professionnel destiné aux salons de coiffure.

Quelques années plus tard, je suis revenue au Québec et j’ai décidé de lancer ma propre maison d’édition. Je publiais un magazine pancanadien, bilingue, qui s’appelait Esthémag Pro et qui était destiné aux professionnels en esthétique. C’était super… jusqu’à la récession de 2008. J’ai dû, à ce moment-là, littéralement donner mon magazine à une maison ontarienne.

Avenues.ca: Un dur coup!

J.B.: Oui. Je suis tombée de haut. La récession m’a frappée de plein fouet. Économiquement, mais psychologiquement aussi. J’avais 49 ans. Je me suis dit: «je ne peux plus être une entrepreneure». J’ai donc décidé de retourner sur le marché du travail.

Avenues.ca: Quel emploi avez-vous occupé?

J.B.: Je me suis retrouvée dans le domaine de la santé, plus précisément dans le département des ressources humaines d’un centre de réadaptation pour les gens atteints de déficience intellectuelle. Je m’occupais des formations pour les psychologues et les éducateurs.

Avenues.ca: Avez-vous trouvé difficile d’être employé plutôt qu’employeur?

J.B.: Ça n’a pas été facile pour l’ego, mais j’ai eu la chance d’avoir une gestionnaire en or qui comprenait mon statut d’ancienne entrepreneure et qui ne faisait pas de microgestion.

Avenues.ca: Avez-vous senti que vos expériences passées étaient mises à profit?

J.B.: Oui. Sans mon bilinguisme, je n’aurais sans doute pas eu le poste. Ce n’était pas mon domaine, mais j’y étais bien et j’en ai retiré de belles choses. En plus, j’avais un fonds de pension, de bonnes conditions et une super équipe. J’y suis quand même restée pendant près de 10 ans!

Avenues.ca: Pourquoi avez-vous quitté?

J.B.: Un jour, j’étais sur Twitter et j’ai vu une annonce des bourses de mobilité étudiante interrégionale du Cégep de Rivière-du-Loup. Ils parlaient de 3-4 programmes qu’ils offraient, avec la résidence étudiante payée, la bourse à toutes les sessions… et je me suis demandé si je me lançais dans le programme en arts visuels.

Avenues.ca: Pourquoi les arts visuels?

J.B.: J’avais déjà fait des cours de peinture, mais rien de vraiment sérieux. J’avais le goût d’aller au fond de cette envie-là. J’ai travaillé dans le monde des communications pendant plusieurs années et, pour moi, les arts visuels sont le moyen de communication ultime. Je considère que c’est le point culminant de toute mon expérience professionnelle.

«Pour moi, les arts visuels sont le moyen de communication ultime.»

Avenues.ca: Vous avez donc décidé de faire le saut?

J.B.: Oui! J’ai décidé de prendre une retraite anticipée, de tout laisser, de donner la moitié de mes choses, d’entreposer l’autre moitié et d’aller vivre dans une résidence étudiante, parmi des ados, pendant deux ans.

Avenues.ca: Vous aviez quel âge à ce moment-là?

J.B.: J’avais 58 ans.

Avenues.ca: Ouf! Vous n’aviez pas peur?

J.B.: Ça s’appelle se jeter à l’eau! Mais heureusement, j’ai appris à me faire confiance au fil des épreuves de la vie et je savais que je pouvais atteindre mon objectif.

Avenues.ca: Comment avez-vous été accueillie par les étudiants?

J.B.: Ça a été deux super années. Je suis contente parce que j’ai été entourée d’ados de 17-18 ans qui, même s’ils ont été un peu intimidés par ma présence au début, sont devenus… pas des amis, mais de bonnes connaissances. Être en contact étroit avec les jeunes, ça te remet beaucoup au goût du jour, ça te reconnecte avec la réalité.

Les gens de 60 ans et plus, y compris moi, on est beaucoup dans notre jeunesse, dans notre réalité, et d’aller se plonger dans la vraie vie, où il a de vrais ados en voie de devenir de vrais adultes, c’est très, très formateur. Moi, j’ai beaucoup aimé. Et leur vision des arts était très rafraîchissante, très actuelle.

Avenues.ca: Et du côté des enseignants, comment ça s’est passé?

J.B.: Les enseignants étaient des artistes professionnels de ma génération, ou un petit peu plus jeunes. Ils sont devenus des amis presque instantanément. Évidemment, ça a rendu mon passage au Cégep très agréable parce que j’avais l’impression que j’allais voir des amis tous les jours.

Avenues.ca: Comment a réagi votre entourage lorsque vous leur avez annoncé que vous retourniez au cégep?

J.B.: Ma famille est à Magog, donc à cinq heures de route de Rivière-du-Loup. Et mes enfants sont à Montréal... Tout le monde a accepté mon choix, car ils m’appuie toujours. Mais ils s’ennuyaient beaucoup… et moi aussi! Je m’étais engagée à venir au moins cinq fois par année pour les voir.

La réaction la plus forte est venue de mes collègues de travail. La moitié m’a avoué qu’ils étaient très, très inquiets et l’autre moitié m’a dit qu’ils admiraient mon courage.

Avenues.ca: Qu’est-ce que ce diplôme vous a apporté?

J.B.: Beaucoup de fierté! Je suis maintenant une finissante du programme d’arts visuels du Cégep de Rivière-du-Loup. Je fais déjà des expositions collectives. Mes affaires vont très bien, malgré la pandémie.

Avenues.ca: Arrivez-vous à en vivre?

J.B.: Pas encore, mais je comble le manque à gagner en faisant des traductions à la pige. En raison de mon bilinguisme, j’ai toujours fait beaucoup de traduction. J’ai d’ailleurs fait un certificat à distance à l’UQTR en 2013 afin d’obtenir un papier pour certifier mes connaissances.

Avenues.ca: Quels sont vos plans d’avenir?

J.B.: Mes journées sont aussi pleines que quand j’avais une entreprise parce que je gère ma carrière d’artiste en arts visuels comme si c’était une entreprise. Je suis toujours en démarchage, en train d’essayer de rejoindre le client, de vendre mes œuvres. Je me donne deux ans pour avoir une certaine reconnaissance du milieu.

Avenues.ca: Avez-vous un conseil à donner à ceux qui pensent faire le grand saut, comme vous l’avez fait?

J.B.: Quand on tombe, volontairement ou non, c’est parce qu’un changement s’impose. Il faut avoir confiance malgré les douleurs. Le changement apporte toujours un résultat positif.

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