8 octobre 2015Auteure : Véronique Leduc

Détox VS Science

J’ai été fascinée, récemment, de suivre le débat virtuel entourant le nouveau livre de Jacynthe René, Délices Détox. D’un côté: l’ancienne comédienne qu’on avait découverte dans feu Diva et ses 29 000 fans Facebook. De l’autre, certains journalistes qui dénoncent, des scientifiques qui mettent en doute, des nutritionnistes qui questionnent. Place au combat.



Si le monde a Gwyneth Paltrow (1 212 571 abonnés sur Facebook), le Québec a Jacynthe René. Cette dernière s’est effectivement lancée en 2013 dans une nouvelle voie avec son site Web, une «plateforme beauté et bonheur». Elle y publie des conseils santé et des recettes «détoxifiantes» qui visent à «améliorer votre vie». Le tout est agrémenté de photos épurées sur lesquelles la belle blonde respire le bien-être.

Dans une société où les jus verts, l’alimentation sans gluten et la recherche d’habitudes saines sont valorisés, le Jmagazine inspire. En peu de temps, il est devenu une petite entreprise florissante où on peut acheter en ligne des huiles essentielles, des savons naturels, des DVD d’exercice et les deux livres de Jacynthe René.

Son premier recueil de recettes, Vive la détox gourmande, sorti en 2014, est devenu un best-seller en six jours. Et l’accueil est aussi chaleureux pour son petit dernier, Délices détox, sorti en septembre. «Un petit bijou de livre pour quiconque souhaite vivre avec plus d'énergie!», écrit le Huffington Post au sujet du livre qui propose une soixantaine de recettes végétaliennes, sans gluten et sans lactose.

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Dans le coin opposé

Mais Jacynthe René commence aussi à avoir des détracteurs. Après la controverse créée par un statut Facebook qui disait que la crème solaire était probablement cancérigène, l’ancienne comédienne fait encore parler.

C’est la critique gastronomique de La Presse, Marie-Claude Lortie, qui a ouvert le bal. Intriguée par certaines des affirmations contenues dans le nouveau livre, la journaliste a décidé de demander des explications directement à l’auteure et d’aller chercher l’avis de quelques scientifiques, médecins et nutritionnistes. Dans son compte rendu nommé «Jacynthe et les scientifiques», un nutritionniste se dit «tanné de voir des livres comme ça» qu’il juge réducteurs. Un autre déplore le fait que «le livre n’ait pas un mot au début pour dire aux lecteurs qu’il n’a pas de prétention médicale». Puis, une troisième juge que ce type de «livre est néfaste, car il parle de “détox”, un mot trop souvent utilisé pour faire miroiter la perte de poids rapide».

De son côté, un cardiologue estime que l’ouvrage rassemble de vraies et de fausses affirmations, mais sans «que cela soit bien néfaste pour ceux qui lisent le livre», alors qu’un urgentologue le qualifie de «farfelu». Pour sa défense, dans le même texte, Jacynthe René, qui se décrit comme une «autodidacte bien entourée», affirme que, selon elle, «la vérité scientifique n’est pas une fin» et qu’elle ne fait que proposer «des solutions saines et logiques».

Le débat continue

Après avoir donné son avis à Marie-Claude Lortie, Bernard Lavallée, qui tient le blogue Le nutritionniste urbain, a publié un billet complet sur le sujet. En tout respect, il affirme que dans l’extrait du livre qu’on lui a envoyé, on passe à travers une panoplie de mythes alimentaires qu’il tente de défaire au quotidien: «gluten, détox, combinaisons alimentaires…. Aucun de ces conseils ou de ces théories n’est appuyé par la communauté médicale». Ceci étant dit, si les conseils et recettes (qu’il juge intéressantes) de Jacynthe peuvent aider certaines personnes, tant mieux, mais il met en garde contre la généralisation.

L’échange ne s’est pas terminé là! Sur son site, Jacynthe René a répondu à l’article de Marie-Claude Lortie en pointant tout particulièrement du doigt les arguments de Bernard Lavallée, qu’elle défait en dirigeant les lecteurs vers diverses sources.

Même le magazine L’Actualité s’en est mêlé! Dans son édition papier du 1er octobre, le chroniqueur David Desjardins, qui n’est clairement pas un admirateur de Jacynthe René, publiait «Comment devenir gourou». Il y écrit qu’une carrière plus lucrative que celle de journaliste l’attend: conseiller en mieux-être. «Je ferai prendre des photos de moi au milieu de champs fleuris, le visage barré d’un sourire qui traduit mon infinie béatitude. On en tapissera mon site Web transactionnel, où se mêlent contenus aux références douteuses et produits santé, en vente pour votre plus grand bonheur. […] je proposerai dans mes livres un tas de recettes où seront bannis le gluten, les fruits possédant un trop important indice glycémique et tout ce qui n’a pas été cueilli par de blanches mains dans un jardin certifié bio.»

Une tendance mondiale

Il y aura certainement une place pour le nouveau David Desjardins au Québec, puisque la tendance est forte… et mondiale. Tellement que le média anglais The Guardian a publié récemment un long texte sur la nouvelle mode bien-être intitulé «Green Is the New Black». «Elles sont jeunes, photogéniques, populaires sur Instagram et sur la liste des meilleures vendeuses à travers le monde – mais à quel point la nouvelle lignée de blogueuses bien-être s’y connaît-elle sur la nourriture?», se demande le texte en ouverture.

Et c’est ce qui dérange les journalistes, les scientifiques et les nutritionnistes: cette prétention de savoir. Les Jacynthe René de ce monde inspirent, font découvrir de nouveaux aliments et remettent en question certaines certitudes, ce qui est bien. Le danger est que des personnes ne jurent que par ces jolies femmes minces et décident d’éliminer la crème solaire, de s’autodiagnostiquer ou de couper complètement le gluten sans plus de questionnement.

Dans ce débat, à mon avis, l’important est que les adversaires ne soient pas KO et que les idées continuent de s’entrechoquer. Parce que ce qui est intéressant dans un match, plus que la défaite d’un des joueurs, c’est de se nourrir des techniques de chacun et d’observer les échanges, non?