10 novembre 2016Auteure : Véronique Leduc

Libre-échange

Cette entente qui inquiète nos fromagers

C’est un sujet incontournable présentement dans le monde agroalimentaire. L’entente de libre-échange entre le Canada et l’Europe est sur toutes les lèvres. Parce qu’elle en réjouit certains et qu’elle en afflige d’autres. Survol d’une situation complexe à double tranchant.



C’est le 30 octobre que le Canada et l’Union européenne ont signé une entente globale de libre-échange négociée sur sept ans qui supprimera 99 % des droits de douane entre les deux territoires.

«C’est une entente qui va permettre aux entreprises canadiennes dans tous les secteurs d’activité de commercer facilement avec l’Europe et aux entreprises européennes de commercer facilement avec le Canada», a récemment affirmé le journaliste Errol Duchaine pour tenter de résumer l’accord.

L’entente est donc censée propulser les échanges commerciaux entre les partenaires. On vise ainsi à permettre une meilleure distribution des produits d’ici de l’autre côté de l’océan et inversement, ce qui est une bonne nouvelle pour plusieurs entreprises qui voient une possibilité d’élargir leur marché.

Globalement, on estime que la signature de l’Accord pourrait faire augmenter de 20% le commerce entre le Canada et l’Union européenne. Pour le Québec, on parle de la création de 16 000 emplois et de l’injection de 2,3 milliards de dollars dans l’économie. Quand il est question du dossier, le premier ministre Philippe Couillard évoque d’ailleurs «la prospérité» et «la qualité de vie», entre autres termes positifs.

Plus précisément, du côté agroalimentaire, si le Canada pouvait déjà vendre ses produits en Europe et vice-versa, grâce à cette entente, il sera désormais plus simple de répondre à certaines exigences et normes puisqu’elles seront harmonisées. Et, 95% des tarifs douaniers imposés aux produits alimentaires que les territoires transigent entre eux n’existeront plus à partir de 2017, moment où l’entente sera officialisée. Comme conséquence: des prix plus bas pour les consommateurs. Une autre bonne nouvelle à première vue.

Nos fromages en péril

Mais il y a un «mais». Dans le milieu agroalimentaire québécois, les inquiétudes sont énormes, tout particulièrement du côté des producteurs de fromages.

Puisque s’ils pourront élargir leurs marchés, ils craignent de perdre beaucoup de plumes ici. C’est que le marché du terroir québécois est petit, trop petit. Et que les centaines de fromages fins européens qui débarqueront sans plus aucune barrière sur nos tablettes risquent d’ébranler l’industrie, encore jeune, des fromages artisans québécois.

Comme notre industrie fromagère est jeune donc, et que les producteurs de fromages québécois sont petits, le coût des fromages fins d’ici est beaucoup plus élevé que ceux en provenance de l’Europe, pour la plupart de fabrication industrielle. C’est sans parler des normes plus élevées au Canada qu’en Europe, et qui occasionnent des coûts plus élevés pour les producteurs d’ici.

Dans ce contexte, comment soutenir la concurrence européenne?

Cri d'alarme

Les petits fromagers s’inquiètent ouvertement : «Les gens ne réalisent pas ce que ça veut dire, ces 17 700 tonnes de fromages européens qui vont pouvoir être vendues ici! C’est simple: c’est comme si 1000 fromagers de notre taille ouvraient tous d’un coup au Québec», estiment Daniel Gosselin et Suzanne Dufresne de Au gré des champs. Les deux producteurs ne cachent pas en avoir contre cet accord de libre-échange et déplorent déjà le fait que plusieurs fermes québécoises sont abandonnées et que l’accord augmentera leur nombre. Ils qualifient même l’accord de «catastrophe».

L’entente est complexe et comporte plusieurs nuances (l’Accord compte 2344 pages (!) et est négocié depuis 2009). On tente d’ailleurs dans les médias de le simplifier et de le faire comprendre en 10 points ou en quelques minutes par exemple.

Jusqu’à maintenant, ce sont les producteurs de fromages qui se sont surtout exprimés, mais si on en croit l’entente, d’autres producteurs, de bœuf, de vins ou de spiritueux, entre autres pourraient aussi observer des changements au sein de leur industrie.

Mais, ce sont probablement les producteurs de fromages qui sont les plus vulnérables puisque leurs produits sont une signature au Québec et que les 500 fromages d’ici représentent une richesse qu’il a fallu des années pour bâtir.

Déjà, en 2013, on s’alarmait, et alors qu’il était question de l’entente à venir, le président de l’Union des producteurs agricoles, Marcel Groleau, affirmait que «plus de fromages européens tuerait l’industrie québécoise».

Malgré tout, l’entente est là et aujourd’hui, sur la page d’accueil des Fromages d’ici, on tente déjà de charmer les consommateurs québécois en affirmant d’emblée: «Pas besoin de passer par l’Europe. Nos fromages n’ont rien à envier aux autres.»

Que choisiront les consommateurs quand dans les réfrigérateurs se retrouveront autant sinon plus de fromages européens que de fromages québécois, et ce, à plus petit prix?

Veut-on vraiment troquer nos Belle-Mère, Paillasson, Au Gré des Champs, Pied-de-Vent, Bleu d’Élizabeth, Tomme du Kamouraska, Brie d’Alexis ou Douanier contre des Roqueforts, Boursins, Brouère, Brousse ou Livarot?

C’est Benoit, le fameux personnage des publicités des fromages d’ici, qui peine déjà à bien connaître nos centaines de produits, qui serait déstabilisé…