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La charte des voyageurs: les bons côtés et les zones grises

Alors que l’aéroport Montréal-Trudeau s’apprête à accueillir 500 000 voyageurs pendant le congé des Fêtes, la deuxième phase de la charte des voyageurs est entrée en vigueur le 15 décembre. Une bonne nouvelle de se savoir mieux protégés… mais le sommes-nous vraiment?



La première phase de la charte permet depuis le 15 juillet dernier de toucher une indemnité en cas de retard sur le tarmac, de surréservation ou de bagages perdus. C’est toutefois seulement depuis le 15 décembre que les voyageurs peuvent toucher les sommes allant de 400$ à 1000$ en cas de retard ou d’annulation. Le montant minimal peut être perçu après trois heures.

«La première phase de la charte a été pour moi informative, observe André Desmarais, propriétaire de l’agence Aéroport Voyage et président de l’Association canadienne des agences de voyages (ACTA), section Québec. La deuxième est la mise en place des indemnisations, avec les montants spécifiques, mais avec des exemptions. C’est comme ça que j’ai interprété cette loi.»

Comme vous, sans doute, j’ai lu les multiples articles et chroniques publiés sur le sujet dans La Presse, Le Devoir, Radio-Canada et autres Protégez-vous au cours des derniers jours. Oui, les règles que l’Office des transports du Canada veillera désormais à faire respecter sont plus complexes que celles qui prévalent en Europe, mais considérant d’où l’on part (c’est-à-dire de très, très loin), c’est déjà un très grand pas.

Malgré tout, on a un peu l’impression de se retrouver en plein festival du «mais» tant les subtilités sont nombreuses, comme le souligne M. Desmarais. Les montants diffèrent par exemple s’il s’agit d’un grand ou d’un petit transporteur. Si les conditions météo causent le retard, le transporteur ne sera pas non plus tenu de verser les sommes établies.

Quand je demande à André Desmarais la différence entre un grand et un petit transporteur, même lui, qui connaît bien l’industrie, hésite parfois, se demandant par exemple dans quelle catégorie se trouvera Porter. Néanmoins, la plupart des compagnies sont faciles à catégoriser. «Un grand transporteur, c’est comme Air Canada, Air France ou United Airlines, qui fait le tour de la planète et a les reins assez solides pour dédommager le passager. Un petit transporteur, c’est comme Air Saguenay*.»

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L’importance de s’informer

Malgré la complexité de la charte, l’étudier s’avère essentiel pour connaître nos droits. C’est ce qu’a fait une Canadienne qui préfère garder l’anonymat à la suite d’un retard de plusieurs heures, alors qu’elle se rendait en Asie au début de décembre. Elle s’est toutefois heurtée à la méconnaissance des préposés au service à la clientèle. «La compagnie aérienne a violé la charte – que j’ai eu le temps de lire pendant les longues heures d’attente! – de plusieurs manières, mais il semblerait que les employés ne sont pas vraiment au courant… ou ne veulent pas l’être. Chacun interprète la politique comme il le veut. En tout, j’ai dû parler à cinq personnes, qui m’ont toutes dit quelque chose de différent. Une gérante m’a même traitée avec mépris, comme si j’essayais de profiter du système. Alors que la charte existe parce que les voyageurs paient pour un service que parfois les compagnies ne sont pas capables de rendre!»

Elle a finalement obtenu quelques coupons repas et une nuitée à l’hôtel – comme avant la mise en place de la charte –, mais ne compte pas en rester là. Après avoir effectué une demande de compensation en ligne, elle évalue la possibilité de faire affaire avec une compagnie comme Volenretard.ca, qui aide les voyageurs à toucher les sommes auxquelles ils ont droit en échange d’un pourcentage des gains.

Comme le voyage a eu lieu entre la mise en place des deux phases, se peut-il que son dossier tombe entre deux chaises? André Desmarais craint que ce soit le cas. «En tant qu’agence, nous avons eu des clients qui auraient voulu être indemnisés, mais ils n’ont eu que 150$ au lieu de 1000$ parce qu’on n’était pas encore rendus à l’application de la charte.»

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Que faire?

Un voyageur qui effectue sa réservation lui-même devra se dépêtrer avec les démarches administratives en cas de pépin. Toutefois, les conseillers en voyages pourront prêter main-forte à leurs clients. «Nous travaillons déjà avec le Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyages du Québec [de l’Office de la protection du consommateur], rappelle M. Desmarais. Nous aidons nos clients quand ils sont victimes d’une faillite du transporteur aérien, par exemple. C’est une paperasse très complexe. C’est sûr qu’on va soutenir nos clients avec les compagnies aériennes à la suite de l’application de la charte. Il risque d’y avoir aussi des chevauchements entre les réclamations qu’on peut faire auprès de l’OPC. Les passagers devront remplir un formulaire sur le site de la compagnie aérienne pour faire une réclamation. Ils devront garder toutes leurs preuves, dont la carte d’embarquement. L’agent de voyages sera plus à même d’aider son client, mais la procédure pourra durer plusieurs mois.»

Toucherons-nous un jour le montant des compensations directement à l’aéroport, comme c’est le cas en Europe? «Il y aura peut-être, éventuellement, une stratégie similaire à celle de l’Europe, croit le professionnel du voyage. Mais le problème, ce sont les exemptions. En Europe, la procédure existe depuis longtemps. Il y aura peut-être des dédommagements automatiques ici aussi un moment donné, mais pas pour tout.»

Plus cher pour les consommateurs?

La grande question que se posent de nombreux consommateurs: qui paiera la note, en fin de compte? «Les grands transporteurs sont préparés à ça depuis longtemps, croit M. Desmarais. Les compagnies aériennes ont déjà un budget dédié à ces situations. Je ne pense pas que le prix des billets d’avion augmentera de manière significative. Leur coût a d’ailleurs diminué au fil du temps parce que les gens voyagent davantage. Oui, on paie maintenant pour nos bagages et nos repas à bord, mais compte tenu de l’inflation, le prix des billets est resté assez stable. Peut-être qu’ils nous coûteront un ou deux dollars de plus, mais certainement pas cinq de plus.»

En rappel, quelques points importants de la nouvelle charte fédérale:

  • Les transporteurs sont maintenant tenus de permettre à un des parents de réserver un siège «à proximité» de son enfant de moins de 14 ans sans frais supplémentaires.
  • Quand un vol est retardé, le transporteur doit fournir de la nourriture, des boissons et l’hébergement aux passagers.
  • Les indemnités qui doivent désormais être versées par les grands transporteurs: 400$ si le vol a entre 3 et 6 heures de retard, 700$, entre 6 et 9 heures et 1000$ si le vol a plus de 9 heures de retard ou s’il est annulé. Tout cela dépend si la responsabilité est attribuée au transporteur et de sa taille.
  • Les petits transporteurs, eux, devront verser de 125$ à 500$ lors de retard ou d’annulation.
  • L’Office des transports du Canada veillera à l’application de ces règles. Un transporteur contrevenant s’expose à une amende de 25 000 $, rapporte Radio-Canada.
  • À lire: mon article «7 choses à retenir à propos de la charte des voyageurs». Un autre article sur les indemnisations dans lequel j’ai parlé de AirHelp et Volenretard.ca, qui aident les consommateurs à toucher les montants auxquels ils ont droit.

* Air Saguenay a mis ses actifs en vente en novembre dernier.