21 décembre 2020Auteure : Marie-Julie Gagnon

Empreinte

On remarque d’abord la couverture, qui laisse présager la qualité des photos qui se trouveront au fil des 256 pages d’Empreinte, signé par Guillaume Beaudoin. Mais ce qu’on retient surtout, à la fin du voyage, c’est la quête de sens propre aux voyageurs qui ont osé emprunter des chemins de traverse.



Pour ce directeur photo, qui a aussi réalisé la série Tribal, diffusée à TV5, tout part d’ailleurs de cette quête. «Pourquoi prendre mon vélo, alors que des milliardaires traversent les Caraïbes en yacht chaque jour?» écrit-il, se disant atteint du «syndrome de la goutte d’eau dans l’océan». «Pourquoi recycler une bouteille quand des millions de tonnes de plastique sont volontairement déversés dans les rivières?» Une partie des réponses viendront au fil des expéditions et au hasard des rencontres.

Entre l’aventure en bateau d’Hawaï à San Francisco – qui donne pas mal de sueurs froides pour une «petite traversée», comme l’indique le sous-titre – et les expéditions sur le continent africain et en Mongolie, les îles du Pacifique occupent une place à part dans son parcours. Au-delà des noms exotiques – Marquises, Cook, Fidji, Vanuatu, Tonga… –, ces petits lopins d’Océanie prennent aussi le visage des gens qui les habitent, comme celui de Sailosi Ramatu, qui a dû déplacer sa maison trois fois à cause de la montée des eaux dans son village, avant de se résigner à déménager. Il écrit, au sujet de son coin de pays: «En longeant le rivage, mon regard évitait les trop nombreux arbres déracinés qui défiguraient le paysage. Une chose me paraissait claire: l’augmentation du niveau des mers ne fait que commencer et les conséquences de l’érosion sont déjà bien réelles.»

L’eau est au cœur des récits et des réflexions. Traversée du Pacifique en bateau-stop, plongées avec les baleines ou les requins-bouledogues, participation à des missions d’Ocean Cleanup pour nettoyer le vortex de déchets du Pacifique, l’auteur se mouille, et pas seulement au figuré. Il ne fait pas que constater les effets des changements climatiques ou l’ampleur de ces continents de plastique dont les médias ont fait grand cas au cours des dernières années: il s’intéresse aux mesures et pistes de solution mises en place un peu partout, ce qui le force constamment à pousser sa propre réflexion. En filigrane, sa quête reste la même: «Pourquoi ramasser une paille quand des millions de tonnes de déchets de plastique se déversent dans la mer chaque année en Asie?»

Il bourlingue aussi avec, en tête, les constats du neurologue et psychiatre autrichien Viktor Frankl, qui a passé trois ans dans les camps de concentration lors de la Seconde Guerre mondiale et qui a tenté de comprendre les raisons de la survie des prisonniers. Marqué par la lecture de son livre, Man’s Search for Meaning, il écrit: «Rien ne grandit sans qu’un individu ait d’abord posé un geste, une action liée à une intention. L’effort individuel est le premier pas de tout mouvement à grande échelle. C’est aussi la concrétisation des principes de Viktor Frankl: la quête de sens ne peut pas être que théorique, elle soit être accompagnée d’efforts pour prendre vie.»

Au fil des kilomètres avalés, le mode de vie de Guillaume Beaudoin évolue naturellement. Il devient végétarien quelque part entre la Nouvelle-Calédonie et l’Australie pour réduire son empreinte carbone et ralentit sa consommation de produits à usage unique. Ses rencontres avec les derniers peuples nomades lors du tournage de la série Tribal laissent également des traces.

Dans son mot de la fin («ou du commencement», dit-il), il parle de la résilience des gens croisés lors de ses pérégrinations, mais aussi de leur dignité. «Ils m’ont permis de croire qu’il existe plusieurs façons d’habiter notre planète.» Selon lui, les changements s’exécutent déjà et si «l’ambition prend racine au sein de l’individu, c’est lorsqu’elle se répand dans la collectivité qu’elle s’épanouit».

Bien que les images soient magnifiques, ce sont les histoires qui se cachent derrière et la quête de l’auteur qui rendent la lecture captivante. Empreinte n’est manifestement pas le bouquin qu’on lit dans sa baignoire, mais son format «table à café» en fait un superbe objet à offrir ou à laisser traîner pour en relire des passages de temps en temps et nourrir notre propre réflexion face aux enjeux actuels.

Empreinte, Guillaume Beaudoin. Parfum d'encre. 2020. 256 pages.