Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

La Loi 101 a 40 ans, mais peut-être pas toutes ses dents…

On a célébré, le samedi 26 août, les 40 ans de la loi 101. Avec raison: la Charte de la langue française — son vrai nom — a été un très grand succès d’ingénierie sociale, puisqu’elle a changé la face même du Québec. Ou plus exactement: sa voix.



Les Québécois de plus de 50 ans se rappellent de leur surprise la première fois où ils ont entendu un Africain ou un Asiatique parler avec l’accent québécois. C’est parce qu’il y a 50 ans, les immigrants qui parlaient français avaient été formés dans les écoles de France ou ici à l’école anglaise. Aujourd’hui plus personne ne s’étonne d’entendre un immigrant ou un anglophone parler québécois. Cette apparente normalité est une des plus belles preuves du succès de la loi 101.

De nos jours, près de 95% des Québécois déclarent pouvoir converser en français, ce qui était inimaginable il y a 40 ans. Ce gain s’est fait largement parmi les anglophones et les immigrants, très majoritairement imperméables au français avant 1977.

La loi 101 est arrivée à un moment charnière de l’histoire du Québec. En 1977, le taux de natalité, qui avait seul suffi à maintenir le pourcentage de francophones au Québec amorçait son déclin. L’anglicisation des immigrants, jusque-là un problème marginal, devenait dès lors un enjeu social et politique. De plus, les études statistiques sur le marché du travail montraient qu’un Québécois unilingue francophone gagnait moins qu’un unilingue anglophone — une discrimination décriée par l’ensemble des francophones. Sans compter leur accès limité aux postes de direction et l’affichage dans les lieux publics qui était alors largement anglophone.

La loi 101 a fonctionné parce que la société québécoise s’entendait largement sur le diagnostic — la nécessité de protéger la langue. L’autre raison est que la loi 101 n’était pas contre l’anglais ni aucune langue, mais pour le français, ce qui n’est pas la même chose.

Photo: Facebook OQLF
Photo: Facebook OQLF

La loi de 1977 a notamment eu pour effet de renforcer les efforts en matière terminologique de l’Office de la langue française (aujourd’hui Office québécois de la langue française OQLF), créée en 1961. Le travail de l’OQLF a permis à des millions de Québécois de trouver le mot juste pour s’exprimer en français dans tous les secteurs de la technique et de la connaissance — ce que bien des gens n’auraient pas cru il y a 60 ans. Le cas bien connu du mot courriel a fait école, mais il y en a bien d’autres, à tel point que les terminologues français, belges et suisses professent leur admiration constante pour le travail de l’OQLF.

Statistique peu connue, mais éloquente: parmi les quelque 50 millions de demandes d’information que reçoit le site web du Grand dictionnaire terminologique de l’OQLF sur le web, la moitié proviennent d’Europe.

Langue maternelle… une confusion statistique

Le succès de l’ingénierie sociolinguistique québécoise est tel que les Québécois ont donné à la loi 101 une charge symbolique très forte. Peut-être trop, en fait, suscitant du coup des attentes irréalistes.

Il faut dire que les manchettes contribuent parfois à nourrir ces confusions sur les limites de la loi 101. En publiant des statistiques basées sur la langue maternelle et en titrant, du même souffle, que le français recule. Dans une société qui dépend de plus en plus de l’immigration, il est normal de constater un recul du français comme langue maternelle — du moins temporairement. Parmi les 50 000 immigrants qui débarquent au Québec chaque année, une très large majorité n’a pas la langue française comme langue maternelle, même s’ils le parlent ou s’ils apprennent à le parler.

C’est d’ailleurs grâce à la loi 101 que le Québec a pu lancer avec confiance une politique d’immigration massive. Le Québec, par ses écoles, réussit à franciser leurs enfants massivement, et les parents dans une moindre mesure, grâce aux cours de francisation et au milieu de travail. Mais il faudra une ou deux générations pour que les enfants de ces immigrants se francisent au point d’adopter le français comme langue maternelle ou comme langue parlée à la maison — ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas déjà francophones.

Voilà pourquoi il y a aujourd’hui beaucoup plus de gens capables de s’exprimer en français qu’il y a 40 ans, mais aussi de plus en plus de «francophones» dont le français n’est pas la langue maternelle.

Autre confusion: les noms d’entreprise en anglais. On aura beau s’indigner de la multiplication de l’anglais dans les raisons sociales des entreprises, la loi 101 n’a aucune autorité sur les marques de commerce. Même si le Québec était entièrement souverain, il n’aurait pas ce pouvoir pour la simple raison que des traités internationaux régissent le respect des marques de commerce. Ainsi, que des Québécois nomment leur entreprise American Apparel ou David’sTea est totalement en dehors des pouvoirs du législateur. Des entreprises étrangères choisissent dans certains cas de traduire leur nom. Si KFC, par exemple, est devenu PFK au Québec, c’est parce qu’il a compris qu’il parlerait mieux à sa clientèle québécoise.

C’est donc aux consommateurs québécois qu’il appartient de faire pression en la matière auprès des dirigeants et propriétaires d’entreprises, car dans le commerce, la volonté populaire et le boycottage comptent autant sinon plus que l’action du législateur.

Aller plus loin

Mais l’époque a changé, ouvrant de nouveaux fronts linguistiques auxquels la loi 101 répond mal actuellement. Les deux plus évidents concernent la mondialisation et l’éducation postsecondaire.

Il y a 40 ans, le libre choix de la langue au primaire et au secondaire était le principal enjeu éducatif. De nos jours, la question se pose au cégep, alors que les jeunes francophones s’inscrivent massivement dans les cégeps anglophones. Maintenant qu’ils en constituent la clientèle de choix, on peut s’interroger sur les conséquences du «libre choix» linguistique au cégep.

Photo: Facebook My Dawson College De plus en plus d'étudiants québécois se tournent vers les Cégeps anglophones.
Photo: Facebook My Dawson College
De plus en plus d'étudiants québécois se tournent vers les Cégeps anglophones.

La mondialisation a ouvert un second front en normalisant la pratique de l’anglais comme langue internationale de communication, une question qui ne se posait guère il y a 40 ans.

Bien des doctorants et des professeurs québécois ont vu leur thèse ou leur promotion remise en question dans les facultés des universités francophones parce qu’ils n’avaient pas assez publié en anglais. On est bien en droit de se demander si les universités québécoises ne devraient pas être forcées d’avoir un comité de francisation ou une politique linguistique interne.

Les comités de francisation sont nécessaires pour les entreprises québécoises dans le cadre d’une prise de possession étrangère, comme Rona et Lowe’s, ou pour les entreprises qui opèrent dans un contexte hyperanglicisant, comme l’aviation.

Mais le problème se pose très différemment pour les entreprises québécoises mondialisées telles Couche-Tard, Cirque du Soleil, CGI, SNC-Lavalin, et autres WSP — chose à peine envisageable dans le Québec de 1977. Dans de telles entreprises, le comité de francisation est très nettement insuffisant. La loi devrait les obliger à promulguer une véritable politique linguistique interne qui favorise l’usage du français au siège social et dans la structure hiérarchique. Cela existe: Michelin avait développé une semblable politique au moment d’avaler Goodyear en 2000.

À quand une commission sur la langue?

Mais avant de faire quoi que ce soit, la première action à prendre serait de créer une commission pour étudier la question — ici et ailleurs.

Ailleurs, parce que la société québécoise n’est pas la seule à se débattre avec l’influence de l’anglais. Certes, les efforts du Québec en matière d’aménagement linguistique sont cités en exemple dans toute la francophonie et même au-delà — les Catalans se sont largement inspirés de la loi 101 pour créer leur propre politique. Mais d’autres, dont l’Islande et Israël, ont développé des solutions originales pour des langues de moins grande portée que le français.

Ici, parce que la politique linguistique doit être repensée dans un nouveau cadre qui est celui d’un Québec mondialisé et branché sur le monde. Qu’on le veuille ou non, l’anglais a changé de statut en 40 ans, mais le français du Québec est aussi un tout autre animal qu’il y a quatre décennies. D’où l’importance d’en arriver à une loi 101 2.0 qui serait plus efficace à l’heure du village global.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.