Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

De la misère à la pauvreté

Faisant contraste avec l’indigence sociale du mini-budget électoral du ministre Leitão présenté fin novembre, voici que le gouvernement Couillard propose un plan de lutte à la pauvreté conséquent. Cet effort pour venir en aide aux plus mal-pris d’entre nous, il faut le saluer, malgré ses imperfections et ses carences.



Alors que le ministre Leitão faisait du saupoudrage fiscal, ce nouveau plan de trois milliards de dollars sur six ans témoigne d’une réelle vision sociale qui implique plus de 18 ministères. D’ici 2023, près de 40% des sommes nouvelles — soit 1,25 milliard de dollars — seront consacrées à améliorer le sort des personnes jugées inaptes au travail. Pour 128 000 adultes, le traitement de solidarité sociale (jadis connu comme le bien-être social) passera de 12 749$ à 18 029$ par an.

Il s’agit là de la plus spectaculaire des 44 mesures proposées. Dans la liste, on relève une demi-douzaine d’autres mesures substantielles, dont 580 millions pour augmenter le traitement de solidarité sociale des assistés jugés aptes, 283 millions pour le logement social, et 260 millions pour bonifier les primes au travail. Outre les sommes consacrées aux personnes jugées inaptes, ce sont donc 1,7 milliard de dollars supplémentaires pour les 400 000 bénéficiaires de la Solidarité sociale.

À l’approche des Fêtes, alors que les services de secours aux démunis sont littéralement assiégés, et à dix mois des élections, le dévoilement de cette politique est certes opportuniste. Mais on ne peut pas reprocher à un politicien de faire de la politique, pas plus qu’à un plombier de faire de la plomberie. Le père Noël libéral est sans doute opportuniste, mais pas cynique.

Si la mesure est bien reçue dans la population, c’est d’abord parce qu’elle vient en aide de façon convaincante à ceux qui éprouvent une «contrainte sévère» à l’emploi («inapte» n’est pas le terme officiel). Le choix de leur donner la priorité relève du simple bon sens.

Cela dit, le gouvernement ne leur fait pas de cadeau non plus. D’abord, parce que les seuils seront relevés très progressivement sur 6 ans, de 876$ dès 2018 à 5 280$ d’ici 2023. Soyons clair: vivre avec 10, 11 ou 12 000 dollars par an, ce n’est pas la pauvreté: c’est la misère. Ensuite, parce que ce n’est que très lentement que ces bénéficiaires peuvent espérer passer de la misère à la pauvreté.

De plus, la définition d’une «contrainte sévère» à l’emploi demeure étroite. Elle se limite à la déficience intellectuelle, à l’invalidité ou à la maladie mentale chronique. On imagine toute une série de cas limites: un analphabète profond ou une personne souffrant d’une dépendance grave est-il vraiment apte au travail?

Enfin, les personnes jugées inaptes devront faire la démonstration qu’elles sont réellement en contrainte sévère pendant 66 des 72 derniers mois. Même dans les cas les plus flagrants, une personne jugée inapte devra donc attendre cinq ans et demi dans sa situation pour profiter des «largesses» de l’État. En attendant de pouvoir toucher les 18 250$ par an, les inaptes-qui-ne-sont-pas-inaptes-depuis-66-mois devront se contenter de 14 000$, ce qui est mieux que les 9 800$ que toucheront les personnes jugées aptes, mais ça ne sera pas l’orgie.

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Une évolution inattendue

En annonçant ce programme, le gouvernement a surpris un peu tout le monde en dévoilant que le nombre de bénéficiaires de la Solidarité sociale avait diminué de 800 000 à 400 000 en vingt ans.

Le fait est que la dénatalité place certaines régions du Québec en situation de quasi-plein emploi. Partout au Québec, les statistiques d’emploi n’ont jamais été meilleures depuis 1976. Cela crée un environnement favorable pour tout le monde, même ceux qui ont des problèmes d’insertion.

Il faut y voir aussi le résultat de politiques patiemment mises en place depuis 20 ans visant à rendre le travail au salaire minimum plus «payant». Pendant les années 1970, 1980 et 1990, les contraintes sur les salaires étaient telles que bien des gens sur le bien-être social trouvaient qu’il était plus «payant» de ne pas travailler. Le gouvernement a donc introduit une série de mesures — assurance médicaments, garderies subventionnées, prime au travail pour les bas salaires et autres crédits. Depuis 20 ans, il est maintenant plus «payant» de retourner travailler — même si le salaire minimum, c’est la pauvreté.

Il y a là-dedans une bonne et une mauvaise nouvelle: la bonne, c’est que le marché du travail québécois est désormais capable d’absorber les assistés sociaux par centaines de milliers, ce qui était considéré comme impossible il y a une génération. La mauvaise, c’est que les 400 000 qui restent sont ceux qui en arrachent le plus.

Bien des organismes ont critiqué ce nouveau plan en lui reprochant de créer deux classes de bénéficiaires: les inaptes et les aptes. Cette critique est injuste dans le sens où cette distinction existe dans la tête d’à peu près tout le monde. Depuis plus de 20 ans, toutes les politiques visent à chercher le moyen de restituer à ceux qui ne travaillent pas la dignité du travail, sauf s’ils en sont incapables.

Le système est bâti autour de l’idée qu’une personne inapte est dans une situation permanente, alors que la personne apte au travail vit un problème de nature «temporaire» — même si celui-ci est bien souvent semi-permanent.

Le gouvernement a également profité du dévoilement de cette politique pour rappeler que le salaire minimum serait rehaussé à 12,45$ d’ici 2020. On est loin des 15$ promis par l’Ontario. Encore faut-il rappeler que les bas salariés québécois profitent de services et de crédits inexistants dans toutes les autres juridictions nord-américaines.

Après le saccage communautaire

Le problème de fond est de savoir si les mesures d’aide cadrent réellement avec les besoins des assistés sociaux et des bas salariés.

Là où le bât blesse le plus actuellement, c’est certainement en matière de logement social. Le plan dévoilé dimanche prévoit 284 millions additionnels pour 3 000 logements sociaux de plus. C’est une avancée très nette, mais on part de très loin quand on sait que cela portera le total à 13 877. Ce n’est pas beaucoup pour aider un million de bas salariés et d’assistés sociaux.

La pauvreté est un drame humain pour lequel la solution offerte par les programmes ne sera jamais complète. Il y aura toujours des dizaines de milliers de cas qui cadrent mal ou pas du tout dans les programmes «mur à mur», comme tous ces gens censément aptes, mais qui sont quasi inaptes.

Bref, le gouvernement ne peut pas y arriver seul et il a besoin du soutien de centaines si ce n’est de milliers d’organismes communautaires.

Et c’est là que son plan d’austérité revient le hanter. Pendant deux ans, au nom de l’austérité, le gouvernement a littéralement saccagé le milieu des organismes communautaires en coupant leurs minuscules subventions. Pour réussir dans la tâche qu’il s’est donnée, il devra rebâtir ce qu’il s’est employé à détruire. Et ce n’est pas en investissant 56 millions de dollars sur six ans — la somme prévue dans le plan de lutte à la pauvreté — qu’il va régler le problème.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.