Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Travailleurs d’expérience: un atout majeur pour le Québec

La pénurie de main-d’œuvre devient une obsession au Québec. L’immigration vient en tête de tout le monde comme étant la première solution, mais l’on devrait se désoler que les «travailleurs expérimentés», qui ont plus de 55 ans, ne soient sur le radar de personne, alors qu’ils représentent une force de travail et un atout majeur pour l’économie du Québec.



Et pourtant, c’est à ce groupe que l’on doit la moitié de l’accroissement de la main-d’œuvre québécoise depuis 2007! Les Québécois travaillent plus longtemps, tout simplement. Certes, cela peut s’expliquer par la détérioration des revenus de retraite (65% de la population n’a pas de fonds de retraite et les rentes publiques ne couvrent que 30% du revenu, au mieux), qui en oblige plus d’un à travailler. Mais cela tient aussi au fait que l’espérance de vie à 60 ans a connu une évolution phénoménale depuis 1980.

La retraite universelle figure parmi les avancées les plus importantes en matière de protection sociale. Plus personne ne remet en cause le fait que chacun a le droit à une retraite. Mais tout le monde devrait pouvoir continuer à travailler et être encouragé à le faire si la volonté y est.

Sauf que trop de gens sont forcés de prendre leur retraite malgré eux. Chez les 65 ans et plus, c’est 33% des Québécois qui cessent de travailler contre leur volonté, contre 20% en Ontario. Bien souvent, ces retraites forcées se font dans des conditions pécuniaires et psychologiques épouvantables.

La santé n’est d’ailleurs pas la première cause. Ce qui est en cause, ce sont des problèmes pour lesquels des solutions existent: la discrimination fondée sur l’âge (ce que l’on appelle l’âgisme), l’absence de programme de maintien et de formation, une fiscalité nuisant à la retraite progressive et le manque de soutien aux proches aidants.

Le maintien des travailleurs expérimentés qui veulent continuer de travailler est donc un enjeu majeur qui ne comporte que des avantages. Ce serait bon pour l’entreprise, l’économie et la transmission des savoirs, mais aussi pour le système social et les individus (on sait tous que le travail apporte des habiletés cognitives, un réseau social, et le réconfort psychologique d’être utile et productif).

Le gouvernement doit reconnaître que les travailleurs expérimentés qui continuent de travailler après l’âge de la retraite ne le font pas seulement pour eux-mêmes; ils rendent également un très grand service à la communauté.

Photo: Deposit photos

Mesurer le problème

Avant le pot, commençons par les fleurs. Selon le rapport  du Réseau FADOQ,  Le travail après 50 ans, le taux d’activité des Québécois âgés de 50 à 54 ans (86%) est nettement supérieur à la moyenne nationale – et nettement supérieur à celui de l’Ontario (83%), ce qui constitue un renversement historique. Le taux d’activité des 55-59 ans (74%), quoique légèrement sous la moyenne nationale, montre aussi une nette amélioration.

L’écart devient très prononcé chez le groupe des 60-64 ans (48% d’activité), nettement sous la moyenne nationale (presque 55%). Même écart chez les 65-69 ans: leur taux d’activité est de 20%, contre 27% pour la moyenne nationale. Il y a tout de même une bonne nouvelle qui annonce des améliorations: chez ce groupe, le taux d’activité est passé de 6% à 20%.

C’est l’éducation qui semble être le premier facteur du retard québécois chez les 60 ans et plus – et qui expliquerait aussi pourquoi les 50-54 ans sont si actifs: ils sont nés après la création du ministère de l’Éducation, en 1964, contrairement aux 60 ans et plus. Ce sont les travailleurs qui détiennent au moins un diplôme d’études secondaires qui ont tendance à prolonger leur vie active au-delà de 65 ans. En moyenne, ils ont tenu des emplois moins pénibles et ils sont mieux adaptés aux exigences d’une économie tertiaire. En tout, il y aurait 142 000 travailleurs de 55 ans à risque (sans diplôme secondaire).

Sachant cela, il devient plus simple d’imaginer ce qui peut être fait. On voit tout de suite que d’augmenter l’âge de la retraite de 65 à 67 ans est une fausse solution, qui désavantage ceux qui ont travaillé dur toute leur vie. La mesure serait juste si elle introduisait un «indice de pénibilité», comme cela existe dans certains pays européens. Elle permettrait aux travailleurs ayant œuvré dans des conditions difficiles (températures extrêmes, environnement acide, station debout continuelle) de soustraire des années à leur seuil de retraite.

Ce qui peut être fait

Avant de réformer le système de retraite, le gouvernement doit agir sur trois fronts: encourager le maintien en emploi des travailleurs expérimentés, améliorer leur employabilité et faciliter la vie de ceux qui veulent continuer de travailler.

Très peu d’entreprises ont mis en place des programmes pour maintenir en emploi les travailleurs expérimentés et le gouvernement ne les encourage pas à le faire. Au Japon, on a institué des subventions pour l’embauche de travailleurs expérimentés. En Suède, on a instauré des crédits sur la taxe sur la masse salariale pour les employés de 65 ans et plus. D’autres mesures devraient favoriser l’assouplissement des horaires, la redéfinition de tâche et l’ouverture au travail à temps partiel.

L’emploi des travailleurs expérimentés qui doivent agir comme proches aidants devrait également être mieux protégé. Les plus jeunes profitent, par exemple, d’un congé parental universel d’un an, même les travailleurs autonomes. Il serait logique que les travailleurs expérimentés, qui devront presque tous être proches aidants un jour ou l’autre, puissent se prévaloir d’une mesure similaire qui leur garantit leur emploi et leur revenu pour une période d’un an. Actuellement, c’est beaucoup moins.

La formation continue devrait être un autre grand chantier. Surtout à une époque où les nouvelles technologies fragilisent justement les travailleurs expérimentés, qui n’ont pas grandi dans cet environnement. On parle bien sûr de formation continue, mais aussi de formation à temps plein visant la réinsertion ou la réorientation. Un couvreur de 58 ans devrait pouvoir se former six mois ou un an pour se réorienter et Retraite Québec devrait pouvoir l’autoriser à retirer sa rente de retraite de façon temporaire pour la même période, quitte à repousser son seuil de retraite d’autant.

Mais le gouvernement devra également s’attaquer à une série de barrières de types fiscales ou réglementaires qui découragent ceux qui veulent travailler après l’âge de la retraite. Il y a eu des avancées: on a réduit de 65 à 61 ans le seuil d’éligibilité au crédit d’impôt pour les travailleurs expérimentés et l’on a augmenté la valeur de ce crédit. C’est déjà ça.

Mais ce n’est pas suffisant. Que l’on considère seulement le problème des assurances. Même si la retraite n’est plus obligatoire à 65 ans, les couvertures d’assurance collective baissent de moitié entre 65 et 66 ans, et diminuent d’année en année jusqu’à quasiment s’éteindre à 70 ans. Où est la logique: un travailleur de 67 ans en santé présente quel risque, au juste? Argumenter que ces travailleurs peuvent se prévaloir de l’assurance médicaments de la Régie de l’assurance maladie est une absurdité. Pourquoi alors avoir développé des assurances collectives? Seul le gouvernement a le pouvoir d’agir sur les règles en ce sens.

Comme 20% des retraités touchent moins de 20 000$ par an, ils sont nombreux à avoir besoin de petits boulots pour suppléer à leur revenu. Le gouvernement devrait revoir les seuils d’exemption des gains autorisés dans le cadre du supplément de revenu garanti, pour les augmenter de 3 500$ à 7 000$. Les dispositions actuelles ont pour effet pervers de les pénaliser en surimposant les efforts de ceux qui travaillent.

Bref, ce ne sont pas les solutions qui manquent, avec un peu de bonne volonté. C’est l’avenir économique du Québec qui en dépend.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.