Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Le lait d’ici, c’est bien meilleur

La campagne spontanée qui s’est mise en place dans la population pour boycotter le lait américain a quelque chose d’admirable. S’il y a un domaine où les gens peuvent prendre les choses en main, c’est bien lorsqu’il s’agit de décider de ce qu’ils mettent dans leur panier d’épicerie. Et au diable les traités de libre-échange et les petits arrangements entre gouvernements!



«Nous ne sommes pas désolés, nous ne vendons pas de lait américain», affichait le Metro Sagamie de Jonquière vendredi dernier. Ailleurs, dans un IGA, on affichait haut et clair «Ici nous ne vendons que du lait canadien». Les initiatives «achetons canadien» se multiplient spontanément chez les consommateurs et les commerçants. Le mouvement devient viral sur les réseaux sociaux. Et comme le Québec représente 50% de l’industrie laitière canadienne, le geste est un encouragement particulier aux producteurs québécois.

C’est donc par le boycottage que la population d’ici réagit aux dernières négociations de libre-échange avec les États-Unis. Conclu le 30 septembre dernier, ce nouveau traité ouvre une nouvelle brèche dans le système de protection de l’industrie laitière canadienne.  Quand on additionne les concessions du nouveau traité avec celles du traité de commerce avec l’Europe et le Partenariat transpacifique, on constate que les producteurs laitiers ont désormais perdu 9% de leur marché intérieur. Ce chiffre atteindra 18% quand les traités seront pleinement appliqués, d’ici quelques années.

En contrepartie, le Canada n’a gagné aucun accès au marché américain. Le recul est encore plus grand, en fait, à cause du «lait diafiltré» — un «concentré de protéines de lait» conçu spécialement par les producteurs américains pour contourner les règles de libre-échange.

Depuis longtemps, les producteurs de lait ont mis en place un système de logo qui identifie les produits canadiens. Les consommateurs doivent cependant faire preuve de discernement, car cette certification n’est pas obligatoire. Il serait dommage de pénaliser un fabricant canadien dont le lait est 100% canadien et qui n’avait pas cru bon d’obtenir la fameuse certification. Les entreprises auraient toutefois intérêt (elles sont très nombreuses à vouloir le faire actuellement) à demander cette certification. Par exemple, Parmalat, qui produit notamment le lait Lactancia, déclare sur des avis apposés sur les frigos de lait dans les commerces que ses produits sont 100% canadiens, mais comme elle n’a pas voulu de la certification, le doute peut subsister dans l’esprit des consommateurs.

Pour y voir clair

Il y a en fait trois logos qui circulent et qui sont valides.

Le logo officiel, mis en place en 2016, comporte une vache bleue à feuille d’érable et la mention «Les producteurs laitiers du Canada — lait de qualité». Il émane de l’association des Producteurs de lait du Canada et est destiné aux transformateurs, aux fabricants et aux producteurs qui acceptent de dévoiler l’origine de leurs ingrédients aux vérificateurs de l’organisme.

Le logo officiel et actuel du lait canadien, certifié par Les producteurs laitiers du Canada
Le logo officiel et actuel du lait canadien, certifié par Les producteurs laitiers du Canada

Ce logo remplace l’ancien — une petite vache bondissante à feuille d’érable accompagnée de la mention «lait 100% canadien». Cet ancien logo demeure valide, car tous les fabricants et transformateurs de lait n’ont pas demandé à passer au nouveau logo.

Ancien logo du lait canadien émis par Les producteurs laitiers du Canada. Il est toujours en vigueur et plusieurs entreprises continuent de l'utiliser.
Ancien logo du lait canadien émis par Les producteurs laitiers du Canada. Il est toujours en vigueur et plusieurs entreprises continuent de l'utiliser.

Un troisième logo, créé par les Producteurs de lait du Québec — «Fromages d’ici» —, identifie 500 fromages d’origine québécoise. Attention, toutefois: un fromage de l’Ontario ou du Nouveau-Brunswick demeure tout aussi canadien, sans être «Fromages d’ici».

Le logo des fromages d'ici est apposé sur 500 fromages d'origine québécoise
Le logo des fromages d'ici est apposé sur 500 fromages d'origine québécoise

Selon les producteurs de lait du Québec, même en l’absence de logo, vous pouvez vous fier à deux choses:

1. S’il s’agit de lait blanc ordinaire (écrémé, 1%, 2%, ou 3,25%), tout ce lait vendu au Canada est bien canadien, quelle que soit la marque, et malgré l’absence de logo.

N.B. Il est possible que du lait modifié, hyperfiltré ou aromatisé provienne des États-Unis ou d’ailleurs, mais dans ce cas, le pays de provenance sera indiqué.

2. Les emballages de tous les produits laitiers importés (fromages, yogourts, boissons laitières, laits aromatisés) doivent obligatoirement indiquer le pays d’origine.

Un bémol toutefois: ce n’est pas parce qu’un produit laitier, comme un fromage ou un yogourt, est canadien qu’il ne contient pas de lait étranger ou de lait diafiltré américain. Quand on consulte la liste des ingrédients, on peut souvent y lire: «substances laitières», «substances laitières modifiées» ou «concentrés de protéines de lait».

Toujours selon les Producteurs de lait du Québec, ces ingrédients seraient généralement d’origine canadienne.

En d’autres termes, le militantisme laitier de certains consommateurs est louable, mais en l’absence de certitude, il est sans doute préférable de laisser la chance au coureur. Tout simplement parce qu’il est probable que votre produit canadien sans logo ne contienne aucun ingrédient américain.

Vous pouvez être sûr que la petite fromagerie artisanale qui produit son fromage avec ses propres vaches ou celles du voisin produit un fromage à 100% canadien. Même raisonnement pour la petite crémerie de fond de rang.

Quant au reste, les Producteurs de lait du Québec précisent que la meilleure façon de s’en assurer est de le demander directement au fabricant.

La bonne nouvelle, c’est que les transformateurs et fabricants qui réclament la certification pour leurs produits sont de plus en plus nombreux, ce qui signifie qu’à terme, les consommateurs auront une idée très claire de l’origine de la plupart des produits.

La mauvaise nouvelle, c’est que l’ambiguïté persistera encore un certain temps. Tout simplement parce que c’est la ruée actuellement pour obtenir la certification des Producteurs de lait du Canada. Si on veut que le système de logo signifie quelque chose, chaque demande doit être étudiée. Et même une fois le produit certifié, les fabricants devront encore écouler leur stock d’anciens emballages avant de pouvoir le remplacer.

Patience donc — ce qui ne vous empêche nullement de vous informer. Le gouvernement canadien, qui dit vouloir soutenir l’industrie laitière canadienne, pourrait, entre autres, mettre en place les ressources additionnelles nécessaires pour répondre aux demandes croissantes de certification.

Et la fameuse «gestion de l’offre»?

Bien qu’on puisse se réjouir que les consommateurs prennent les choses en main, il faut bien reconnaître que quelque chose cloche dans l’industrie laitière.

Ce qui ne signifie nullement que le système de gestion de l’offre ne fonctionne pas, bien au contraire. Il faut donc se méfier de ceux qui disent qu’il faut tout abolir — comme il faut se méfier de ceux qui prétendent qu’il n’y a rien à y changer.

Mettons les choses au clair sur un point. L’industrie canadienne du lait aura toujours besoin d’un très haut niveau de protection pour une raison bien simple. Selon l’OCDE, les agriculteurs américains sont subventionnés à hauteur de 10% — 9,9% exactement. On ne peut donc pas adhérer à l’idée de libéraliser complètement la production canadienne sans se tirer dans le pied. Au Canada, les agriculteurs sont soutenus à hauteur de 9,6%, légèrement moins que les producteurs de lait américain, mais presque autant.

Des systèmes de gestion de l’offre, il y en a partout. Au Japon, c’est sur le riz. Aux États-Unis, c’est sur le sucre. D’autres pays, comme Israël, la Norvège et l’Islande, ont des systèmes de gestion de l’offre pour le lait. Il s’agit de petits pays, mais le Canada — à côté de son voisin américain — est petit. Une ferme laitière québécoise, c’est 60 vaches. En Californie, c’est 1 000 vaches par ferme — dont l’équivalent de 100 vaches subventionnées.

Subvention? Dépassée?

Contrairement à ce que disent ses détracteurs, la gestion de l’offre n’est pas un système arriéré du 19e siècle, mais au contraire un système très moderne qui vise à éliminer la surproduction et le gaspillage. Cela dit, la gestion de l’offre n’est pas une subvention en soi. Elle consiste à planifier la production en fonction de la demande. En d’autres termes, tout le monde paie un peu plus cher pour éviter de développer trop de surplus de production, qui détruisent le marché. Un des volets de cette planification consiste à imposer de très lourds tarifs aux importations.

Le système canadien est très lié aux enjeux d’occupation du territoire et de développement régional. Parce que les transformateurs paient un prix unique pour le lait, les petites fermes un peu partout demeurent viables.

Le système de gestion de l’offre a été constamment adapté depuis sa mise en place dans les années 1970. Mais son plus gros défaut vient du manque de cohérence du gouvernement fédéral quant à son application. Par exemple, il autorise l’importation du lait diafiltré parce que ce n’est pas du lait. Mais Santé Canada autorise qu’on l’utilise dans la fabrication du fromage parce que c’est du lait!

Cela dit, ce n’est pas une panacée non plus. La gestion de l’offre était destinée à protéger les fermes laitières, mais il faut bien reconnaître que 88% des fermes laitières ont disparu depuis — malgré la gestion de l’offre.

Le gros défaut du système de gestion de l’offre, c’est qu’il est strictement défensif. L’Organisation mondiale du commerce le tolère, mais en contrepartie, elle interdit au Canada d’exporter son lait (c’est aussi vrai pour les œufs et la volaille, qui ont leur système de gestion de l’offre). Bref, les producteurs de lait canadiens ne sont pas bloqués seulement aux frontières américaines, mais partout dans le monde.

Mais en attendant de voir ce qui peut être fait, et qui prendra plusieurs années d’étude et de réflexion, si ce n’est une génération complète, les consommateurs québécois ont bien raison de mettre en application leur propre politique d’achat et d’acheter canadien ou québécois. Le choix des consommateurs pourrait bien constituer ce qui est de loin la plus puissante des politiques agricoles.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.