La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Le monde est un village

Dans une autre vie, je voulais faire du journalisme humanitaire. J’ai rapidement réalisé que j’allais me retrouver à la rue si je persistais dans cette voie (!), mais j’ai eu l’occasion de m’intéresser de près à des projets liés, entre autres, au tourisme équitable (ou responsable, si vous préférez).



Je me souviens entre autres d’un gîte soutenu par une ONG dont on n’a plus du tout entendu parler après la disparition de ladite ONG. Comment faire en sorte que ces initiatives puissent rester viables quand elles dépendent de l’aide humanitaire? La question semble être restée sans réponse pour plusieurs.

La première fois qu’on m’a parlé de Village Monde, j’ai trouvé l’idée presque trop belle pour être vraie. Quoi? Un homme d’affaires qui investit son argent dans une structure visant à soutenir des projets de tourisme villageois aux quatre coins de la planète? Allons donc… «L’organisation existe depuis 2010, m’a raconté Danielle Valiquette, directrice générale, quelques mois après que j’aie eu vent de ce site Web. Elle a été fondée par Charles Mony et sa conjointe, Isabelle Vitte. L’entrepreneur a connu beaucoup de succès à mettre en marché un scanner 3D portatif. En 2008, il a fait le tour du monde en voilier avec sa famille et visité une quarantaine de pays. En voilier, on arrive par l’océan, alors on a accès à de petits paradis peu exploités et il est possible de s’insérer dans la vie de villages plus authentiques. L’idée lui est venue de monter un projet en lien avec le tourisme villageois.»

La destination où le déclic s’est produit? «Madagascar, où il a séjourné pendant plusieurs mois et développé un contact privilégié avec la population», raconte Mme Valiquette.

Le Cambodge, le Vietnam, l’Indonésie, le Togo et le Sénégal font aussi partie des destinations mises de l’avant par Village Monde, qu’on pourrait décrire comme un entremetteur, mais aussi un initiateur de projets pour permettre à de petites communautés souvent loin des zones touristiques d’accueillir des voyageurs et d’en récolter les retombées sans un million d’intermédiaires.

Plus officiellement, Village Monde décrit sa mission ainsi: «Soutenir le développement économique communautaire dans les villages en encourageant la création de nouvelles sources de revenus par le développement du tourisme durable, en participant à la commercialisation et la promotion des initiatives touristiques, offrant ainsi aux voyageurs une découverte basée sur l’authenticité, le partage et la découverte et génératrice de retombées positives pour les communautés».

En clair: l’argent que vous dépenserez n’ira pas dans les poches des Donald Trump de ce monde, mais bien dans celles de ceux qui en ont le plus besoin. «Les revenus du tourisme villageois et les actions de Village Monde bénéficient à 100% et directement aux villages impliqués», nous assure-t-on sur le site de l’organisme.

Vietnam. Photo: Harvey Enrile, Unsplash
Vietnam. Photo: Harvey Enrile, Unsplash

Un Airbnb rural?

Septembre 2016. Je retrouve Charles Mony dans un café du Vieux-Longueuil. Je suis plutôt curieuse de découvrir le personnage. Français d’origine, il vit au Québec depuis 25 ans. En plus de son tour du monde en famille, en bateau, il vient de prendre part à la Transat QuébecSaint-Malo pour la troisième fois. Il est venu en train depuis Québec, où il habite (Cap-Rouge, pour être plus précise).

J’ai bien failli ne pas le voir: il venait d’avoir une conversation passionnante avec un chauffeur de taxi d’origine algérienne et aurait sans doute passé le reste de la matinée à discuter avec lui, n’eût été notre rendez-vous. «C’est bien le seul avantage à prendre le taxi!», lance celui qui préfère conduire lui-même. Voilà qui résume plutôt bien le personnage.

Alors, que s’est-il passé entre la naissance de l’idée et sa réalisation? Pendant son tour du monde, M. Mony reçoit une offre pour l’achat de son entreprise. «Je ne voulais pas interrompre mon tour du monde, dit-il, alors je me suis dit que s’ils étaient sérieux, ils attendraient mon retour.» Ils l’étaient… N’étant pas prêt pour la retraite, les semaines suivantes lui permettent de réfléchir à ce dont il a vraiment envie. La réponse arrive d’elle-même: contribuer au développement des villages où il a eu l’occasion de s’arrêter et développer un véritable réseau d’hébergement, qu’il compare à une sorte de Airbnb rural.

L’image me fait un peu tiquer, Airbnb n’ayant pas fait que des bons coups. D’autant plus qu’avec un récent partenariat avec le programme Uniterra, piloté par le Centre d’étude et de coopération internationale (CECI) et l’Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC), on se rapproche davantage des valeurs prônées par les organisations humanitaires.

Une chose est sûre, cependant: l’homme que j’ai devant moi croit fermement que le tourisme peut venir en aide aux villageois. On ne parle pas de tourisme de masse, bien sûr, mais plutôt de voyageurs qui ont suffisamment bourlingué pour être conscients de leur impact et qui ont envie de vivre une expérience différente.

L’une des approches privilégiées par Village Monde est de favoriser l’autonomie et l’entrepreneuriat, qu’il soit coopératif ou privé, ce qui m’apparaît comme étant l’un des éléments essentiels pour la pérennité d’un tel projet.

Photo: Seth Doyle, Unsplash
Photo: Seth Doyle, Unsplash

Pour une expérience unique

Pour le moment, les défis restent nombreux. L’objectif est de pouvoir proposer environ 500 destinations villageoises des quatre coins du monde d’ici quelques mois. «D’ici cinq ans, l’objectif de Village Monde est de générer 4,5 millions de dollars canadiens de retombées pour ces communautés qui cherchent à diversifier leur économie et créer des emplois locaux pour les jeunes et les femmes», pouvait-on lire dans le communiqué de presse annonçant le partenariat avec Uniterra.

On peut aussi se questionner à propos de la coordination et de la logistique sur le terrain. Charles Mony affirme que c’est effectivement l’un des aspects qui n’est pas encore tout à fait au point. «Il faut s’assurer que le système de réservation fonctionne», dit-il. Les voyageurs qui réservent actuellement par le biais du site Web doivent être conscients que la rapidité de réponse peut varier selon la personne qui la reçoit à destination, mais des solutions sont en train d’être mises en place.

Et le confort? Résumons en un mot: variable. «Il y a des hébergements plus haut de gamme», précise l’explorateur.

Non, si vous avez envie d’une semaine de farniente tout compris au soleil, ce n’est pas sur la plateforme collaborative de Village Monde que vous trouverez chaussure à votre pied. Mais pour une expérience plus humaine et l’impression de contribuer concrètement à l’amélioration de la vie d’une communauté, l’organisme sans but lucratif pourrait devenir l’espèce de juste milieu que plusieurs voyageurs recherchent: moins de prise de tête parce qu’on n’a pas à chercher sur 30 sites et faire autant d’appels avant de trouver le type d’expérience qui nous convient, tout en gardant le caractère authentique de l’aventure. Je ne sais pas pour vous, mais moi, ce genre d’initiative me redonne un peu la foi.


Pour en savoir plus

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Carolyne Parent

1 octobre 2016

Le Devoir