La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Jamais trop tard pour Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran

Il n’est jamais trop tard pour découvrir une œuvre. Depuis trois ans maintenant qu’Éric-Emmanuel Schmitt joue Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, un texte qu’il a écrit en 1999 et qui a eu sa version au cinéma. Vous avez jusqu’au 4 mars pour vous rendre au Théâtre du Nouveau Monde et ressentir tous les bienfaits de cette pièce.


Du théâtre pur bonheur

Cette proposition est au théâtre ce que le film pur bonheur (feel good movie) est au cinéma. On a devant nous un formidable conteur et un texte qui nous transfigure. Éric-Emmanuel Schmitt incarne tous les personnages. Il suffit d’un effet de voix ou d’une posture pour qu’apparaissent dans notre imaginaire Momo, jeune ado juif torturé, son père, un être sec et sans sentiment ou le monsieur Ibrahim du titre, le marchand musulman du quartier. Un marchand de bonheur.

Ce dernier, dans toute sa sagesse acquise d’une lecture généreuse des préceptes du Coran, contribuera à outiller le jeune garçon pour faire face à la vie et l’affranchir d’un père meurtri par ce qu’on a fait subir à sa communauté.

Nous sommes dans le Paris des années 60, les atrocités de la Deuxième Grande Guerre ne sont pas cicatrisées, mais les conseils que prodigue Monsieur Ibrahim valent tout autant à l’époque qu’aujourd’hui.

Prenons l’exemple du sourire. Le vieil homme suggère à son protégé de se l’accrocher au visage, histoire de voir ce qui va arriver. Momo, qui pense que le sourire est un truc de gens heureux, réalisera qu’au contraire c’est sourire qui rend heureux comme l’a prédit son mentor.

Toujours inspiré de son Coran, Monsieur Ibrahim apprendra à Momo à voir que la beauté est partout, que pas de réponse peut être une réponse ou, sur un mode plus comique, qu’on peut reconnaître un magasin de luxe au fait qu’il n’y a rien dans la vitrine, rien dans le magasin, mais tout dans le prix. On reconnaît là l’humour d’Éric-Emmanuel Schmitt. Il y a aussi les fines tournures de l’écrivain et personne n’est mieux placé que l’auteur pour les mettre en valeur sur scène.

Le récit, qui captive pendant 1 h 50, nous transporte jusqu’au pays d’origine de Monsieur Ibrahim, et là, dans une magnifique explication, on découvre la véritable quête de ces hommes qui tournent sur eux-mêmes et qu’on appelle les Derviches tourneurs. On a juste envie de mettre le cap sur l’Anatolie pour parcourir à notre tour ces paysages et approcher cette culture d’une grande richesse spirituelle.

Photo: Courtoisie TNM
Photo: Courtoisie TNM

Comme un baume

Je le disais plus haut, ce texte a été écrit en 1999. Avant le 11 septembre 2001. Avant qu’on commence à démoniser Arabes et musulmans. Avant que des barbares commettent des horreurs au nom d’Allah.

Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran a donc une autre portée qu’à sa création. Cette pièce devient un appel d’air frais dans l’atmosphère viciée de notre débat sur le vivre ensemble. Une porte ouverte sur un monde qu’on connaît mal. Une célébration de la fraternité humaine. On sort de là réconcilié avec le genre humain.

Photo: Courtoisie TNM
Photo: Courtoisie TNM

Lumières sur la ville

Chemin faisant vers la maison, je suis allé voir que ce que nous réserve l’événement Illuminart, nouveau pan du festival Montréal en lumière consacré à la lumière et à la technologie.

Profitant du 375e de Montréal pour cette première édition, on a mis le paquet. Sur 3,6 km carrés du Quartier des spectacles, on retrouve 25 propositions venant majoritairement de Lyon, la ville à l’honneur cette année, mais aussi du Québec, de l’Australie et des Pays-Bas.

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Certaines œuvres sont interactives, d’autres destinées aux contemplatifs alors que certaines ont une vocation ludique comme la bétonnière boule disco ou les personnages géants de Fantastic Planet sur le parterre de la Maison symphonique.

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J’ai particulièrement aimé les projections sur la murale L’air du temps de Phillip Adams sur la rue Sanguinet. En contrepartie, je trouve qu’on abuse un peu de la population des Habitations Jeanne-Mance, qui devra vivre avec des installations souvent bruyantes ou carrément aveuglantes dans son environnement.

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Le parcours d’Illuminart peut être visité du mercredi au samedi, du 22 février au 11 mars, de 17 h 30 à 23 h, jusqu’à 3 h du matin lors de la Nuit blanche.

Coup de cœur pour le nouveau disque de Peter Peter Noir Eden

alt="peter-peter"Quand la rubrique s’appelle Coup de cœur, on comprend tout de suite que le chroniqueur aime beaucoup beaucoup le sujet dont il parle. C’est mon cas avec Peter Peter, qui sort cette semaine Noir Eden, un disque que j’attendais depuis trèèèès longtemps.

Son précédent, Une version améliorée de la tristesse, paru en 2012, a tourné en boucle dans mon iPod. Toutes les chansons, il y en avait 10, étaient excellentes. Un score parfait, c’est rare de nos jours. Pendant cinq années, je me suis demandé si Peter Peter arriverait à être aussi prolifique.

Eh bien oui, sur Noir Eden, le raffinement de sa pop électronique et de sa prose poétique est toujours au rendez-vous. L’auteur-compositeur-interprète originaire de Saguenay a le talent de transformer son spleen de ténébreux en mélodies accrocheuses. Il a également l’art d’écrire de bonnes histoires tourmentées et nébuleuses dans une langue impeccable.

Le son très européen, pour ne pas dire français, qui tombe dans mes goûts, est encore plus affirmé. Il faut dire que depuis près de trois ans, Peter Peter vit à Paris où beaucoup de son travail d’écriture s’est fait. Le déracinement et la découverte d’un nouvel environnement l’ont puissamment inspiré pour ce qui est des textes et la solitude lui a donné beaucoup de temps pour bidouiller sur ses synthés qui nappent presque toutes les pièces du disque, ainsi qu’on le faisait dans les années 80.

Comme un Xavier Dolan, Peter Peter contrôle les différentes facettes de son travail. Il écrit les paroles et les musiques de ses chansons, réalise, arrange, programme ses boîtes à rythmes, enregistre et garde un œil sur la direction artistique. Bien que solitaire, il sait bien s’entourer. D’ailleurs, il est demeuré fidèle à ses collaborateurs comme on le constate dans les crédits. Et, c’est un détail pour le parent que je suis, le MERCI MAMAN qu’on retrouve encore une fois à la fin des crédits, m’émeut.

Peter Peter sera en spectacle au Québec en mars. Le 8 à Montréal, le 11 à Trois-Rivières et le 12 à Québec. Après, il retourne en Europe.