La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

La mode de l’Expo 67 en vedette au Musée McCord

Il faut avoir un certain âge pour s’en souvenir, mais la nouvelle exposition du musée McCord, consacrée à Expo 67, fascinera tous les publics. À partir de sa collection, l’institution de la rue Sherbrooke nous fait ressentir la frénésie de cet événement en mettant l’accent sur l’effervescence vestimentaire du moment. C’est d’ailleurs la première fois que l’Exposition universelle de Montréal est traitée à partir de cet angle.



Le musée McCord possède la plus importante collection de costumes et accessoires faits ou portés au Canada. N’allez pas croire que cela a été facile pour autant de monter cette exposition. Cynthia Cooper, qui est à la tête du département Costume et textiles du musée, a consenti une année et demie à la mise en forme de ce parcours qui compte plus de 60 costumes, une multitude d’accessoires et une quantité impressionnante d’archives filmées. Pour elle, il était primordial qu’en cette année du 50e anniversaire d’Expo 67 cette histoire soit racontée.

Pour ce faire, elle a notamment rencontré les acteurs importants de ce rendez-vous pour s’imprégner de ce qu’ils ont vécu. Elle a déniché des documents clés de l’époque qui ne faisaient pas nécessairement partie de la collection de vêtements du musée. Elle a écouté des heures d’archives visuelles pour en faire ressortir ce qui relevait du sujet. Elle a fouillé la collection pour aller au-delà des seuls costumes officiels. Au final, la somme de cette recherche se décline en différents thèmes.

Affiche de l'exposition Mode Expo 67’ au Musée McCord. Photo: Claude Deschênes
Affiche de l'exposition Mode Expo 67’ au Musée McCord. Photo: Claude Deschênes

Pleins feux sur Michel Robichaud

Pour la première fois, on peut voir les croquis qui ont été soumis lors du concours tenu pour la création du costume des hôtesses de l’Exposition universelle de Montréal. La tenue gagnante de Michel Robichaud, bleue et classique, toujours belle, trône parmi ses autres réalisations car, le saviez-vous?, le designer montréalais a réalisé plusieurs autres uniformes, dont celui des hôtesses du pavillon de l’Allemagne.

Croquis des projets d'uniformes soumis au concours. Photo: Claude Deschênes
Croquis des projets d'uniformes soumis au concours. Photo: Claude Deschênes

Vous pourrez comparer son approche à celle des dessinateurs de mode qui ont habillé les hôtesses de l’Italie, de la Grande-Bretagne ou des États-Unis car les costumes de ces pays sont également exposés.

Tenues des hôtesses des États-Unis. Photo: Claude Deschênes
Tenues des hôtesses des États-Unis. Photo: Claude Deschênes

On doit aussi à Robichaud les tenues de bal de la femme du maire de Montréal. Dans une entrevue qu’on peut entendre durant le parcours, Michel Robichaud raconte qu’il a convaincu Jean Drapeau de mettre la main à sa poche pour doter son épouse d’une garde-robe à la hauteur des nombreuses personnalités qu’elle aurait à rencontrer. Le résultat est très diversifié.

Robe de Mme Drapeau par Robichaud. Photo: Claude Deschênes
Robe de Mme Drapeau par Robichaud. Photo: Claude Deschênes

D’autres créateurs de l’époque, Serge et Réal, Jacques de Montjoye et Marielle Fleury, témoignent aussi de leur rôle dans cette odyssée que fut Expo 67 pour le monde de la mode canadienne.

Vous entendrez également les souvenirs et anecdotes d’anciennes hôtesses qui ont connu, pendant les six mois de l’Expo, une expérience hors du commun grâce entre autres au pouvoir de leurs habits.

Uniforme des hôtesses d'Expo 67 par Robichaud. Photo: Claude Deschênes
Uniforme des hôtesses d'Expo 67 par Robichaud. Photo: Claude Deschênes

La mode canadienne sous toutes les coutures

Dans un esprit plus politique, l’exposition souligne comment les grands débats qui divisaient la population à la fin des années 60 se sont manifestés lors d’un défilé où les vedettes de la haute couture canadiennes ont fait écho à ces tensions avec des robes véhiculant des messages sur l’identité québécoise, l’opposition à la guerre du Vietnam ou le traitement réservé aux noirs.

Les efforts plus mercantiles du milieu de la fourrure pour mousser son industrie sont aussi évoqués.

Accessoires du défilé le Grand boum. Photo: Claude Deschênes
Accessoires du défilé le Grand boum. Photo: Claude Deschênes

Dans la dernière salle, le visiteur a droit à un aperçu de ce que fut Le Grand Boum de la mode, un défilé hebdomadaire organisé par un regroupement d’une centaine de manufacturiers. Imaginez, tous les vêtements et les accessoires portés par la cinquantaine de mannequins requis pour l’événement étaient portés sans qu’on identifie l’origine des fabricants. Les fournisseurs demeuraient anonymes. Pour eux, l’important c’était le spectacle. Les temps ont changé!

Tous ces petits détails, qui témoignent d’une époque où la confiance aveugle et l’énergie débordante faisaient des miracles, font que cette visite de Mode Expo 67 procure un effet tonique. Comme dit Pierre Huet dans la chanson de Beau Dommage Le Blues d’la métropole: «En 67 tout était beau, c’était l’année de l’amour, c’était l’année de l’Expo.» La nouvelle exposition du musée McCord entonne le même air en y ajoutant, c’était l’année de la mode. Pour notre plus grand bonheur, et ce, jusqu’au 1er octobre 2017.

Costumes semblables à ceux montrés au défilé le Grand boum. Photo: Claude Deschênes
Costumes semblables à ceux montrés au défilé le Grand boum. Photo: Claude Deschênes

Cinq questions à Cynthia Cooper, commissaire de l’exposition Mode Expo 67

Comment l’Exposition universelle de Montréal en 1967 est-elle devenue un événement phare de la mode canadienne?

Comme pour l’architecture et le design, Expo 67 a fourni au domaine de la mode l’occasion de se faire valoir. Des designers locaux ont pu, par exemple, montrer leur savoir-faire en créant les costumes des hôtesses. L’industrie du vêtement a mis en valeur sa production dans des défilés de mode hebdomadaires au pavillon du Canada. Le secteur de la fourrure a misé sur l’achalandage international pour stimuler ses exportations. Le site de l’exposition a favorisé la venue de nombreuses publications de mode pour la réalisation de reportages photo. Bref, Expo 67 a fourni beaucoup d’opportunités à beaucoup d’intervenants du milieu.

À quoi ressemble l’industrie canadienne de la mode en 1967?

Il y avait une grande industrie manufacturière particulièrement florissante à Montréal. On l’oublie souvent, mais les vêtements qu’on portait au Canada à cette époque étaient majoritairement faits ici. Les fabricants étaient alors regroupés en association et n’hésitaient pas à lancer des initiatives communes comme les défilés du jeudi au pavillon du Canada. Le commerce au détail misait aussi sur la fierté de nos réalisations. En 67, des réclames de grandes chaînes de magasins incitant le public à se rendre sur le site de l’exposition disaient qu’une visite à Terre des Hommes contribuait à démontrer que Montréal était une ville à la mode.

Est-ce qu’on peut dégager une ligne directrice du style de l’époque?

Dans l’imaginaire du public, les années 60 ce sont vraiment les dernières années de la décennie, soit 1968 et 1969. En 67, on est à un point tournant. C’est sûr que la mini-jupe est à la mode, mais il y a encore beaucoup de réticence, notamment en ce qui concerne la longueur des jupes des uniformes conçus pour les hôtesses. On voit beaucoup de robes au genou, assez formelles. La mode est au vêtement très structuré. Les tissus sont très rigides et avec beaucoup de corps, ce qui donne des silhouettes évasées. On est dans le style ligne A. Le pantalon n’est pas très présent. Dans les films d’archives, vous ne verrez pas de jeans sur le site. Pour ce qui est des hommes, ils profitent du fait que la mode est plus accessible pour porter des couleurs, des motifs, et avoir les cheveux plus longs. Mais d’après ce qu’on voit dans les films de l’époque, c’est assez conservateur. Les gens qui vont à Expo 67 sentent que c’est une occasion, qu’il faut être bien habillé pour bien représenter Montréal.

Quand on visite l’exposition, on dirait qu’il n’y en a que pour les femmes en 67…

Expo 67, c’est plein de contradictions. On dit Terre des Hommes, et on se demande si les femmes sont comprises dans ce concept-là. Elles le sont, bien sûr. Tellement que la présence officielle est incarnée par la femme en la personne des hôtesses. Ça, c’était un peu nouveau d’avoir des femmes dans un rôle officiel. Elles étaient plus d’un millier dans les différents pavillons, et comme elles étaient habillées par des designers, elles attiraient beaucoup l’attention sur elles à cause de ce qu’elles portaient. Dans ce contexte, les hommes apparaissent très effacés. En plus, à Expo 67, la mode était clairement définie comme un intérêt féminin. Ce qui est présenté dans les défilés, c’est presque seulement de la mode féminine.

Est-ce qu’Expo 67 a eu un impact durable sur la mode canadienne?

Il n’y a pas eu beaucoup de recherche sur la mode et Expo 67, l’exposition du Musée McCord est vraiment une première en cette matière. Je dirais que l’événement a eu un impact cet été-là. Sur le coup, on a ressenti une grande fierté pour nos designers et ce qu’ils ont créé. Mais la mode étant toujours en train de se réinventer, on est vite passé à autre chose. C’est ce qui fait, je pense, l’intérêt de notre exposition. Le 50e anniversaire d’Expo 67 est une excellente occasion de se remémorer ce moment de gloire de la mode canadienne.

Robe portée par une visiteuse d'Expo 67. Photo: Claude Deschênes
Robe portée par une visiteuse d'Expo 67. Photo: Claude Deschênes

Coup de cœur pour La liberté des savanes de Robert Lalonde

alt="liberte-savanes-robert-lalonde"À mon anémomètre personnel, le nouveau Robert Lalonde est un livre qui ébouriffe le cœur, une lecture à écorner les pages. C’est fou le nombre de plis en haut de page que j’ai faits en lisant La liberté des savanes. À la fin, mon bouquin avait l’air d’un origami. Lalonde dit en oreilles de chiot, car lui aussi a fait pareil dans sa vie pour en arriver aujourd’hui à émailler sa propre écriture de citations d’écrivains qui ont frisé les livres qu’il a lus.

Dans ce carnet, les mots de Pavese, Pessoa, Proust, Miron, et d’autres encore, sont des compléments directs à son propos, une expansion de son verbe. La nature est omniprésente à travers les 177 feuilles qu’il nous donne à lire. L’écrivain emprunte deux chemins principaux : celui, tortueux, de l’écriture (L’écriture est une folie incurable) et un autre que je qualifierais de chemin des Passes-Dangeureuses, car il flirte avec la mort.

En effet, sur plus de la moitié du livre, Robert Lalonde est en conversation avec un absent, le fils de son voisin qui s’est pendu. Cher fils de mon chasseur par toi-même assassiné… et de continuer en lançant à son interlocuteur toutes sortes de magnifiques bouées qui embuent les yeux.

Au bout du chemin, à la fin du livre, l’auteur l’avoue, il s’est trouvé un personnage. Il est néanmoins inéquitable et cruel que ta fracassante disparition m’ait servi à moi alors que mes mots ne te furent d’aucun secours. Mais ils le seront un jour pour quelqu’un d’autre, monsieur l’écrivain, et c’est une des beautés de cet ouvrage. L’ardu de l’écrit, le tribut de votre cru ne seront pas en vain, Robert Lalonde.