La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

La perfection du corps

De toute évidence, rêver d’un monde où on pourrait se laisser aller «au naturel», sans chercher à «s’emmieuter» physiquement, un monde sans diktats de beauté, où «l’être épanoui en santé» gagnerait sur «le paraître en priorité», est à l’ordre du jour dans deux ouvrages hyperpertinents, des confessions généreuses et lucides de deux êtres qui ont eu maille à partir avec leur obésité, la vision qu’ils ont de leur propre corps, celle des autres et de la société à travers la grossophobie ambiante: Affamée – Une histoire de mon corps de Roxane Gay et La vie en gros de Mickaël Bergeron.



Dans le premier, l’Américaine, autrice du livre à succès Bad féministe, née dans le Nebraska de parents haïtiens, raconte l’histoire de son obésité, comment, après un viol collectif à douze ans, elle a camouflé son secret sous la chair. Beaucoup de chair. «Le corps n’est pas une forteresse, malgré tout ce que nous pourrions faire pour qu’il en soit une. C’est peut-être l’une des plus grandes frustrations de la vie, ou une humiliation?»

Dans le second, le Québécois, journaliste, entre témoignage et analyse sociale, décortique la manière dont les personnes grosses sont condamnées, comme si elles ne se faisaient pas elles-mêmes la vie assez dure comme ça… Selon l’auteur, le combat va au-delà des initiatives individuelles. «Personne ne devrait être discriminé.e en raison de la forme de son corps. Personne. Pour que cette discrimination disparaisse, il ne suffit pas de se trouver beau et belle et d’avoir de bonnes habitudes de vie. Il faut la justice et l’égalité.»

Je salue ces ouvrages, la franchise derrière ces pensées fort bien articulées. Je les salue, mais à la lumière de ces textes, je continue à me demander par quel bout prendre ces enjeux liés au poids et à l’obésité, mais aussi aux apparences en général, à la différence corporelle et à la volonté individuelle et sociale d’entrer dans les rangs, de correspondre à ce qui est soi-disant harmonieux, gracieux, lisse, en somme, les critères de beauté actuels et quasi inaccessibles de ce bord-ci de l’Amérique.

Au-delà des propos sur le poids à l’honneur dans ces titres et dans d’autres somptueux ouvrages sur le sujet, ne serait-ce qu’à travers la fiction, par exemple les romans Grosse de Lynda Dion ou Un si joli visage de Lori Lansens, il me semble que c’est tout notre rapport au corps qui pose problème, en ce moment plus que jamais peut-être, alors que les corps modifiés et façonnés s’affichent gaiement sur Instagram. Malgré les campagnes de conscientisation, malgré les efforts de certains magazines de mode qui saluent la diversité corporelle, la folie du «vouloir-parfait» réside. Pour les obèses et pour tous ceux qui se jugent durement pour mille autres affaires.

Mea culpa, je manque d’autotendresse aussi quand je prends des rendez-vous – que j’annule à tout coup – chez le chirurgien plastique pour réparer ce nez cassé par accident à la fin des années 1980 dans une cour d’école par un grand de sixième un peu tata qui ne savait pas viser avec ses poings…

Je manque aussi d’autotendresse quand j’assume mal plein d’affaires sur mon apparence, bien que je me sache choyée, en accord avec les standards généraux nord-américains. Malgré tout, humblement, sans me trouver banale, je ne l’intègre pas dans ma tête dure de perfectionniste. Ce n’est jamais comme je voudrais que ce soit, comme ce type de perfection uniforme des corps que la société projette partout.

Alors, GO GO GO, crèmes rajeunissantes, laser, séances intenses de Pilates, traitements de varices, coloration capillaire, épilation, entretien général minutieux et discipliné. Si j’avais eu cette rigueur durant mes études, je serais devenue astronaute! Vous dire l’argent, le temps, l’énergie déployée, énergie que je devrais mettre ailleurs: aimer mes enfants, aider mon prochain, jouir de la bonne bouffe et d’autres affaires, apprendre des langues, m’informer, parfaire mes connaissances en politique…

Aussi, en bonne judéo-chrétienne, j’ai honte de cultiver ce désir vaniteux d’amélioration physique, me répétant que je suis chanceuse d’avoir tous mes membres, d’être en santé, que ça pourrait être pire et que tout tient toujours à un fil, donc qu’il faut savoir apprécier ce qu’on a, et patati et patata. Surtout, ne pas oublier d’enseigner l’importance de s’accepter tel que nous sommes à notre progéniture. Donc, donner l’exemple…

On commence par où, tout le monde? Si le je-m’en-foutisme du contenant pouvait s’injecter dans les veines au profit du contenu, il faudrait rendre la piqûre obligatoire dès la naissance et passer le reste de la vie à jouir de ce qui se cache sous la chair et dans le cœur.

Je craque pour…

À vos ordres, colonel Parkinson! de François Gravel, éd. Québec Amérique

 Il était dans la mi-soixantaine quand François Gravel a reçu un diagnostic de Parkinson, maladie neurodégénérative incurable. Le prolifique écrivain a pensé qu’il fallait se remettre une fois de plus à l’écriture, peut-être pour cautériser, peut-être pour comprendre… Bref, nous, on le retrouve dans un récit touchant et drôle à la fois sur cette maladie qui change sa vie et qui, visiblement, n’affecte pas la sincérité et l’enthousiasme de sa plume.