23 mars 2018Auteure : Françoise Genest

Livres de la semaine

Minuit moins deux avant la fin du monde de Mireille Gagné

Récemment, sur Facebook, on me proposait une application qui offre des vidéos de ressourcement d’une durée de 15 secondes. On propose un paysage inspirant, de la pluie qui chante sur des feuilles d’arbres, bref de la beauté. Mais j’ai mieux à vous proposer: un poème. Lire un poème dans un recueil qu’on laisse traîner sur une table. Un recueil qui ne diffuse pas la lumière bleue d’un cellulaire et qui éclaire l’âme. Votre respiration ralentit, votre imaginaire s’envole, des émotions surgissent. Même sombres ou surréalistes, les poèmes ont cet effet 3D sur l’esprit. Et c’est le cas des poèmes que signe Mireille Gagné dans son plus récent recueil, publié aux Éditions de l’Hexagone.

De très courts poèmes, dont certains m’ont rappelé Prévert et d’autres Supervielle, mais la poétesse a bien son propre style. Une poésie minimaliste, précise et souvent incisive. Le monde se désagrège, la mort guette, changer de peau, trouver une échappatoire ou un sens. Car «L’horloge de la fin du monde a été créée en 1947, peu de temps après le début de la guerre froide […] Le 25 janvier 2018, l’horloge affichait minuit moins deux minutes (23:58:00)». Mieux vaut donc saisir l’urgence de vivre.

Dans les poèmes, sans titres, regroupés en quatre chapitres de «30 secondes» des deux minutes restantes avant que minuit ne sonne, pointe un appel, une quête. Mais c’est le regard acéré qui voit ce qu’il y a derrière la façade des choses et qui les regarde bien en face qui donne sa couleur au recueil.

Allez, on se fait plaisir, en voici deux, choisis au hasard, car je les ai tous aimés.

Rêver de courir sur les berges
après les grandes marées
y découvrir son corps
adouci par la mer
du vieux bois de grève
qu’on rapporte de vacances
comme d’étranges visages.

              – Chapitre 23:58:30, p. 35

 

 

 

Un pissenlit pousse en plein milieu de son entrée
il lui vient des envies de
le cueillir
retirer la goupille
lancer la grenade sur le terrain du voisin

 le nordet se lève

 une guerre commence quelque part

               – Chapitre 23:69:30, p. 65

Mireille Gagné vit à Québec, où elle travaille dans le milieu de la culture et des communications. Elle a publié deux autres recueils aux Éditions de l’Hexagone, Les hommes sont des chevreuils qui ne s’appartiennent pas (2015) et Les oies ne peuvent pas nous dire (2010).

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Minuit moins deux avant la fin du monde, Mireille Gagné, Éditions de l’Hexagone, mars 2018, 72 pages, 16,95$