7 juin 2019Auteur : Richard Migneault

Livres de la semaine

Don Giuliano, Jacques Lanctôt

À la fin des années 1960, révolutionnaires de papier et nouveaux cégépiens, dès que nous franchissions les portes du vénérable Mont-Saint-Louis, transformé en Cégep du Vieux-Montréal, la grâce cubaine nous envahissait et nous devenions des fans de la bande de barbus menés par Fidel Castro. Poster du Che sur le mur de la chambre, tabac illégal dans un sac de plastique et chemise à col Mao, nous étions prêts à changer le monde.

C’est en ouvrant le dernier opus de Jacques Lanctôt, Don Giuliano, que ces souvenirs sont remontés à la surface, injectant une bonne dose de sérotonine dans l’esprit du retraité actif.

«C’était la méthode Guevara: faire réfléchir et créer un homme nouveau grâce au travail.»

Don Giuliano, page 131.

Installé dans un petit village cubain où il s’occupe d’une population pauvre, démunie et sans ressources, Don Giuliano, de son vrai nom Julien Casavant, est un prêtre québécois qui exerce son ministère sans se cacher, malgré l’interdiction qui prévaut pour le clergé qui est resté sur l’île. Intrigant!

Pendant ce temps, aux États-Unis et au Canada, les hauts dirigeants de la mafia fulminent en voyant «leur île du plaisir» aux mains des révolutionnaires cubains. Leurs hôtels, leurs casinos, leurs bordels, tout cela leur a été enlevé. Les familles se consultent, n’hésitent pas longtemps. Croyant vraiment que cette révolution est un feu de paille et qu’elle ne tient qu’à la personnalité de Castro, on décide d’envoyer Lino Mandolini, un haut gradé de la mafia marseillaise, avec la mission d’assassiner le «Comandate en jefe».

Sous couverture, Lino arrive à Cuba et se présente comme travailleur communautaire à la mission du Padre Giuliano. Il prépare son plan tout en essayant de s’adapter à la vie de coopérant volontaire. Pour un tueur de la mafia, la transformation est difficile et l’adaptation, ardue.

Dès les premiers jours, il se rend compte que derrière le sacerdoce de Don Giuliano, se cache un prêtre ayant participé concrètement à la guérilla, troquant le goupillon pour l’arme automatique. De plus, il est en contact fréquent avec le Che.

Bien entendu, son projet va avorter et il tombera entre les mains des dirigeants cubains. Don Giuliano proposera à Guevara de sauver la vie du tueur à gages; le Che, en excellent stratège, élaborera un plan machiavélique. Don Giuliano et Mandolini seront expédiés en Bolivie, où le prêtre aura une mission bien spéciale. Le destin de l’homme de main de la mafia et celui du prêtre révolutionnaire seront intimement liés. Est-ce qu’un événement inattendu pourrait transformer la vie du tueur à gages et donner raison aux espoirs du Padre?

Dans son roman, Jacques Lanctôt nous présente un visage nouveau et singulier de l’après-révolution cubaine. Un regard de l’intérieur, d’un homme qui a vécu cette période, côtoyant des hommes qui ont longtemps été les icônes d’une jeunesse pleine d’espérance révolutionnaire.

Par l’entremise de ce tueur italien et de ce prêtre québécois, on rencontre Fidel Castro et Ernesto Guevara, dans leur quotidien de dirigeant d’un pays. D’un pays où le peuple souffre de la faim, mais qui semble reprendre espoir en l’avenir.

Avec une écriture fluide, sans fioritures inutiles, Jacques Lanctôt nous décrit les faits. Pas de surprise avec une phrase poétique ou une allégorie saisissante. Non. L’action est soutenue, les revirements nombreux et on se laisse prendre au récit. Mais, à certains moments, on se questionne, comme les personnages, sur la nécessité de la violence, celle acceptable, visant la libération d’un peuple opprimé et l’autre, la gratuite, pour sauver un patrimoine familial gagné à la sueur du revolver.

Happé par l’histoire et son développement, tout à coup on se rend compte que l’on apprécie le personnage dont on devrait réprouver la conduite. Et toutes nos certitudes, nos a priori et nos convictions sont remis en question par le dilemme moral dans lequel nous sommes plongés. Du grand art de la part de l’auteur!

Sachant que Lanctôt a séjourné plus de quatre ans à Cuba, je me suis souvent demandé quelle était la différence entre la fiction et la réalité. Qu’est-ce qui relève de l’histoire ou de l’imagination de l’écrivain? L’auteur lui-même nous révèle que son roman est «à mi-chemin entre la réalité et la fiction». Un plaisir de plus ajouté à cette bien bonne histoire!

Don Giuliano n’est pas le grand roman qui «révolutionnera» le genre. Mais le lecteur sera assuré de passer un bon moment et d’en apprendre un peu plus sur cette période charnière de la politique nord-américaine.

Pour les cégépiens des années 1970 et pour tous les autres qui les ont suivis!

Bonne lecture!

Don Giuliano, Jacques Lanctôt. Éditions Libre Expression. 2019. 404 pages.