5 octobre 2018Auteure : Françoise Genest

Livres de la semaine

Cadillac de Biz

Avec un sous-texte subtil et son regard scanographique, Biz nous raconte, dans son dernier roman, Cadillac, une quête, celle d’un jeune Québécois dont le rêve s’est effondré et qui trouvera un autre sens à sa vie en retournant vers ses racines, dont certaines, insoupçonnées.

L’histoire est assez simple: alors qu’il vient d’enterrer son grand-père et d’apprendre qu’il sera père à son tour, Derek Lamothe découvre que son ancêtre, Antoine Laumet, devenu Antoine Lamothe, autoproclamé baron de Cadillac, a fondé la ville de Détroit après avoir remonté tous les cours d’eau du Québec, jusqu’au Pays d’en haut. Détroit… la découverte n’est pas banale, car c’est dans cette ville que Derek aurait dû connaître la gloire, puisqu’il avait signé avec les Red Wings. Mais le jeune hockeyeur a vu sa carrière naissante et ses rêves ruinés en raison d’un stupide accident qui lui a bousillé le genou. Il fait désormais carrière dans la vente d’automobiles, des Cadillac, la marque qui a fait le renom et l’orgueil de… Détroit, la ville de la voiture.

Bouleversé par les récents événements et toujours déchiré par le deuil de sa carrière, Derek, en quête de liens et de sens, décide de prendre la route pour Détroit. Comme son rêve de hockeyeur, la ville est en ruine et en faillite. Durant son court séjour, il trouvera pourtant des repères, des réponses, un filon qui le ramènera à ses racines, à ses rêves et à d’autres possibles.

(…) On dirait des touristes devant les ruines d’un temple romain. Malgré sa déchéance, Détroit conserve la superbe des cités antiques à la gloire perdue. Ce sont les décombres annonciateurs de l’effondrement de l’Occident. L’incarnation architecturale du déclin de l’empire américain prophétisé par Denys Arcand en 1986.

               Sonné comme si une voyante lui avait annoncé sa propre mort, Derek ressort sur l’avenue Bagley et marche vers l’est.

Voilà pour l’histoire… Mais le reste est plus complexe qu’il n’y paraît. Ce roman-récit est une longue métaphore et l’auteur s’amuse à fermer des boucles. Celle des origines de Daisy, la femme de Derek, autochtone de naissance, et celle de son peuple. Celle de la famille Lamothe, celle de la carrière de Derek et du lien qui l’unit à son père et à une autre échelle, celle des francophones d’Amérique, des Français et des Québécois, dont l’histoire est celle des défricheurs de l’Amérique qui, à coups de pagaies, de pipes qu’ils fumaient dans leurs canots, ont planté leurs espoirs et leur marque dans ce vaste territoire.

À l’époque des coureurs des bois, la combustion d’une pipe était une unité de distance. Les canoteurs calculaient les étapes en nombre de pipes qu’ils pouvaient fumer avant d’arriver à bon port. (…) Pour les canoteurs nocturnes, la pipe était un feu de position clignotant à chaque bouffée. Une lueur d’humanité dans la nuit. Dans la furie des poudreries hivernales, la pipe allumée était un signe de vie indiquant que son propriétaire respirait encore. Au cœur d’un environnement sauvage et démesuré, la pipe permettait au nomade de tenir feu et lieu.

Malgré un début un peu lent, le livre, plutôt court (j’en aurais pris davantage parce que j’aime le style de Biz), se lit d’un seul trait. L’écriture de Biz est efficace, incisive, «right to the point». Entre la danse avec ceinture fléchée, l’adoration des Québécois pour le hockey et les traces fugaces, mais tenaces, du français en Amérique, l’auteur pose un regard acéré sur la perte d’identité et les quelques bribes qu’il faut ramasser pour ne pas complètement l’oublier ou la perdre, mais Derek s’en servira pour se bâtir de l’espoir.

Biz est membre du groupe Loco Locas. Son travail d’auteur a été récompensé par le Prix du livre jeunesse des bibliothèques de Montréal et le Prix jeunesse des libraires du Québec en 2012 (La chute de Sparte) ainsi que par le prix France-Québec en 2015 (Mort-terrain). Cadillac est son sixième livre publié chez Leméac.

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Cadillac, Biz, Éditions Leméac, octobre 2018, 96 pages, 15,95$

 

Biz viendra nous parler de ce livre au Rendez-vous Avenues, Le Salon avant le Salon Avenues.ca 2018 où elle sera en compagnie de cinq autres auteurs de la rentrée. Une soirée animée par Claudia Larochelle à la Librairie Monet le 23 octobre prochain.
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