Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

RETRAITES : L’AVENIR N’EST PLUS CE QU’IL ÉTAIT!

Le déclenchement hâtif des élections fédérales a fait éclater une belle querelle sur les retraites entre l’Ontario et Ottawa. Les Québécois gagneraient à surveiller l’affaire de près, et pas seulement parce qu’il est rafraîchissant, de temps à autre, de voir Ottawa et Toronto se crêper le chignon, mais bien parce qu’en matière de retraite le Québec est loin d’être à l’avant-garde.



Le gouvernement ontarien veut développer un régime de retraite complémentaire au Régime de pensions du Canada. Ce régime ontarien serait obligatoire pour les 3 millions de travailleurs ontariens ne bénéficiant d’aucun régime de retraite privé. Mais, pour ce faire, l’Ontario aurait besoin de la collaboration du Régime de pensions du Canada. Problème : le Premier ministre Stephen Harper ne veut rien savoir de ce qu’il qualifie de «taxe déguisée».

L’argument des conservateurs est purement électoraliste : un régime de rentes n’a rien à voir avec une taxe ni même un quelconque système de redistribution. Un régime de rentes, c’est un régime public d’épargne obligatoire visant à assurer un minimum à chacun au moment de la retraite. Les rentes sont calculées individuellement en proportion exacte des montants contribués et seule une minorité touche le maximum prévu.

Le projet ontarien vise à corriger LE défaut majeur du Régime de pensions du Canada, lequel est inspiré du Régime de rentes du Québec (RRQ), qui comporte la même tare. Le RRQ, qui a célébré ses 50 ans en juillet 2015, fut un pilier de la Révolution tranquille. Mais si nous voulons qu’il célèbre ses 100 ans en 2065, il serait grand temps que le gouvernement réexamine les bases du système conçu selon des idées d’un autre temps.

Un régime de retraite est censé voir loin. Or, «l’avenir» a changé, parce que le travail, la vieillesse, la démographie, les moeurs ne sont plus les mêmes. À 65 ans et à travail égal, les retraités sont nettement plus en forme que leurs grands-parents; nombre d’entre eux ont encore le goût de travailler; ils vivent plus vieux; ils ont beaucoup moins de petits-enfants; ceux-ci entrent plus tard sur le marché du travail après des études plus longues et changent plus souvent d’emploi; madame n’est plus au foyer; et le cumul d’emplois à temps partiel est monnaie courante.

Pour assurer la viabilité du système public de retraite, les gouvernements ont bricolé diverses mesures. Ottawa a reculé de 65 à 67 ans l’admissibilité à la Pension de sécurité de la vieillesse (PSV) et au Supplément de revenu garanti (SRG) et augmenté les cotisations au Régime de pensions du Canada (en vigueur dans les autres provinces). Au Québec, le RRQ a,  entre autres mesures, augmenté les cotisations et plus récemment les pénalités pour ceux qui réclament leur rente avant 65 ans de même que les bonifications pour ceux qui attendent au-delà de cet âge. Des mesures qui selon les actuaires de ces régimes devraient suffire à en assurer la pérennité. Le problème? Plusieurs de ces mesures qui visent à inciter un report de l’âge de la retraite désavantagent les moins fortunés tout comme ceux qui, pour des raisons de santé, de fermetures d’usine ou de type d’emploi, etc., ne pourront reculer l’âge de leur retraite.

Mais la pérennité de ces régimes n’est pas le seul problème dans le paysage de la retraite.  La PSV et son SRG au fédéral a été conçue pour n’assurer qu’un minimum de base universel : chaque individu se doit, en principe, d’assurer l’appoint à travers son régime privé d’entreprise ou son épargne individuelle. Or, toutes les études montrent que près de la moitié de la population n’a ni épargne de retraite ni régime privé. Bref, l’intendance ne suit pas et cette lacune que le Régime de pensions du Canada dans les autres provinces et le RRQ au Québec devaient régler en 1965 ne l’est qu’à moitié. Car au total PSV, SRG et RRQ combiné ne couvrent qu’une portion du 60 à 70 % de revenus d’emploi qu’on juge nécessaire à la retraite. Résultat : un pourcentage élevé n’aura que la rente des régimes, très insuffisante, pour seul revenu de retraite.  Sans compter que même pour ceux qui parviennent à épargner, le défi reste de taille, car la retraite d’aujourd’hui ne dure pas 5 ou 7 ans comme celle de nos grands-parents, mais plutôt 15, 25 ou même 30 ans avec l’espérance de vie qui s’allonge.

Le gouvernement du Québec affirme avoir pris ses responsabilités en créant un Régime volontaire d’épargne retraite (RVER), qui vise une clientèle similaire à celle du programme ontarien. Mais le RVER a le défaut d’être «volontaire». Certes, les 50 000 entreprises n’offrant aucun régime privé devront obligatoirement percevoir le RVER, mais le million d’employés concerné aura le choix de s’y soustraire. Et combien de Québécois ont les moyens réels d’épargner suffisamment pour y contribuer?  De plus, les 200 000 entreprises de moins de cinq employés en sont exclues. Et rien n’est prévu pour «encourager» les travailleurs autonomes. En tout, voilà un autre million de travailleurs négligés. Pourquoi le gouvernement québécois s’arrête-t-il à mi-chemin avec un régime volontaire d’appoint pour la moitié de la clientèle concernée au lieu de créer un régime obligatoire pour tout le monde, comme le propose l’Ontario? Est-ce par manque de courage politique ou bien parce qu’il croit, comme Stephen Harper, qu’il s’agirait d’une «taxe déguisée»?  Le RVER est-il LA solution pour assurer aux 50 % des Québécois sans régime privé une retraite plus décente? Dans son état actuel, permettons-nous d’en douter, d’autant plus qu’il laisse en plan une très grosse partie de la clientèle. Les problèmes liés à la retraite vont nécessiter plus d’une seule mesure et reculer sans cesse l’âge de la retraite ne sera pas non plus la réponse unique. Suffit de demander à tous ceux qui exercent un métier physique ou qui exige des acuités fines. Imaginer que ces travailleurs pourront tous être relocalisés au sein de l’entreprise ou réorienter tient tout autant de l’utopie que de croire à l’épargne volontaire dans les conditions économiques actuelles.

 

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Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.