Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

LE QUÉBEC DOIT RETROUVER LE NORD

Si vous examinez la carte du Canada, la première chose qui saute aux yeux, c’est à quel point le Québec est tourné au sud. Chibougamau, ville emblématique du Nord québécois, est à la même latitude que Winnipeg. Et Edmonton est à la latitude du barrage LG2. Le nord du Québec, ce grand négligé, c’est un territoire deux fois plus vaste que la France, très riche en ressources naturelles, où vivent 120 000 habitants saupoudrés dans une trentaine de municipalités et communautés autochtones pour la plupart installées le long du littoral.

Il existe pourtant une épopée nordique québécoise : la colonisation du Lac-Saint-Jean, des Laurentides et de l’Abitibi, le développement de la Côte-Nord et des mines de fer du Labrador, l’ouverture de Schefferville et les chantiers de la Manicouagan et de la Baie-James. En leur temps, tous ces jalons avaient été considérés comme des folies. On ne s’en passerait plus.

Lorsque le premier ministre Jean Charest a présenté le Plan Nord en 2011, c’était la première fois que le Québec se dotait d’une vision d’ensemble pour le développement de notre «Far-North». En avril 2015, le gouvernement de Philippe Couillard a «réactualisé» ce plan, dans une version un peu moins minière et un peu plus sociale. Le document, issu de longues consultations, présente son lot de vœux pieux, mais aussi d’idées intéressantes.

Ce qui ressort de la lecture du plan actuel, c’est que les infrastructures de transport devront être la priorité des priorités pour ce territoire. Il faut des routes et, pour les communautés les plus lointaines, des voies ferrées, des ports et des aérodromes – en attendant la route.

Pour quiconque a circulé dans le Nord québécois, le principal défi n’est ni le froid, ni le relief, ni les moustiques, mais l’accessibilité. Le billet d’avion Montréal-Kuujjuaq coûte plus cher que Montréal-Tokyo. À cause de la météo, des marées et des glaces, l’approvisionnement en denrées alimentaires y est compromis plusieurs mois par an. Il en découle toute une série de problèmes qui rendent la région peu viable.

Il y a une raison toute simple pour laquelle investir dans les routes devrait être la priorité des priorités. Le Plan Nord, ce sont d’abord les gens : 120 000 habitants y vivent et s’accrochent. On a voulu fermer Schefferville : elle est toujours là. Des routes carrossables et entretenues permettraient non seulement leur approvisionnement à meilleur compte, mais elles faciliteraient surtout les initiatives les plus diverses et l’établissement de populations plus importantes. Ce qui réduirait aussi la dépendance aux très coûteuses navettes : chaque semaine des milliers d’ouvriers du sud viennent travailler dans les chantiers nordiques puis repartent tondre leur gazon à Sherbrooke ou à Drummondville.

Le grand défaut du Plan Nord version Jean Charest était là : l’accent était à ce point mis sur l’extraction qu’on en oubliait les gens. Les mines, c’est payant, mais ça coûte aussi cher en installations, en navettes et en nettoyage. D’autant plus que c’est hyper conjoncturel. En 2011, le prix des matières premières était stratosphérique et les projets les plus fous se multipliaient. Depuis que les prix sont retombés, la plupart de ces projets ont été remis à plus tard ou ont définitivement avorté. Parfois, les hasards de l’économie mondiale favorisent certaines matières, comme le diamant (près de Chibougamau) ou l’apatite (près de Sept-Îles). Mais il suffit qu’un gisement de fer soit ouvert aux antipodes pour remettre en question tous les projets dans la fosse du Labrador.

Il est à prévoir que, pendant plusieurs générations, l’essentiel de la richesse produite là-bas proviendra des mines, de l’exploitation forestière et de la production énergétique. L’existence d’infrastructures de transport conséquentes, en particulier routières, réduira considérablement le coût d’exploration et d’exploitation de ce territoire que l’on connaît trop mal.

Combien en coûterait-il de mailler ce territoire?

Prolonger de 400 km la route 138 vers Blanc-Sablon coûtera facilement 500 millions de dollars. Il faudra plusieurs milliards pour relier les communautés inuites, et encore plusieurs centaines de millions de dollars pour relier Schefferville à la Transtaïga, qui relie le réservoir de Caniapiscau à Radisson, ou à la route 389 vers le sud.

Connecter les communautés inuites, coupées de tout, au réseau d’Hydro-Québec coûterait aussi quelques milliards. Néanmoins, les économies seraient considérables : Hydro-Québec débourse entre 200 et 300 millions de dollars par an pour entretenir des réseaux électriques autonomes au diesel. Sans compter le potentiel de développement induit par une alimentation fiable : à la mine Raglan, qui exploite le nickel près de la baie de Déception, l’énergie représente près du quart des frais d’exploitation.

Décider du tracé des infrastructures de transport, quelles qu’elles soient, dans un territoire aussi gigantesque n’est pas une mince tâche : il faut tenir compte des besoins de populations de cultures différentes, mais aussi de la réalité du terrain, dont on sait finalement peu de choses – fautes de routes. Plus on en saura, plus le potentiel de ce territoire sera manifeste; et plus il y aura de routes, et plus il sera possible d’agir. C’est le problème de l’œuf et de la poule.

Les infrastructures de transport sont un type d’investissements collectif qui coûte cher. Mais il en coûte encore plus cher de ne rien faire! Il n’est plus question que le Québec perde ce qu’il lui reste de son nord, comme il a perdu le Labrador il y a presque un siècle. Mais le Québec a-t-il les moyens de tourner le dos au nord? Les infrastructures de transport nordique rendront abordables son occupation, son étude, son exploration et son exploitation – dont nous profiterons tous.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.