2 février 2016Auteure : Marie-Julie Gagnon

Cuba

Voyage dans le temps à La Havane

C’est comme s’il allait revenir d’une minute à l’autre. Sera-t-il d’humeur pour Louis Armstrong, Cole Porter ou Mozart? La collection de vinyles reflète l’éclectisme des goûts musicaux de l’écrivain. Sur les murs, les trophées de chasse témoignent de ses safaris en Afrique. Dans les trois bureaux – deux dans la maison et un autre dans la tour, aménagé par sa dernière femme, Mary, les livres sont soigneusement rangés. Des cartouches s’entassent sur la table de celui qui jouxte la chambre à coucher. Une autre partie de chasse au programme, M. Hemingway?

Le tourne-disque s’est pourtant tu il y a bien longtemps déjà. En 1959, pour être précise, quand l’artiste, malade, a quitté Cuba pour retourner aux États-Unis. Il n’écrira jamais une seule ligne sur la machine à écrire Corona qui trône dans la petite pièce de la tour, où il avait une vue imprenable sur la région.

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La machine à écrire Corona trônant sur la table dans la pièce de la tour. Photo: Marie-Julie Gagnon

La Finca Vigia, demeure érigée en 1886 et achetée par Hemingway en 1940, a été convertie en musée dès 1962, soit un an après qu’il se soit donné la mort avec un fusil de chasse dans l’Idaho, comme son père 50 ans avant lui. C’est ici qu’il a écrit Le vieil homme et la mer et Paris est une fête. Impossible de pénétrer à l’intérieur de la maison, cependant: les visiteurs la découvrent en jetant un coup d’œil par les portes et les fenêtres. Une vitre nous empêche de tendre la main pour saisir un des livres de la bibliothèque. Dans la salle de bain, des créatures impossibles à identifier marinent toujours dans le formol. Dans la cour, je découvre la piscine où Ava Garner, grande amie de l’écrivain, aimait se baigner nue lors de ses visites. Je dépasse les tombes des chiens et aperçois le bateau. Il est là, devant moi: le légendaire Pilar, le yacht de toutes les aventures, de toutes les inspirations.

La Havane d’Hemingway



Je l’avoue: la vie de l’homme me fascine plus que ses écrits. J’ai parfois le sentiment qu’Hemingway est passé partout où je me rends. À Paris, j’ai croisé son fantôme à la Closerie des Lilas. En banlieue de Chicago, j’ai visité la maison – très bourgeoise – où il est né. Mais nulle part je n’ai senti sa présence aussi intensément qu’à La Havane. Il faut dire que tout est mis en place pour nous rappeler son passage.

À l’hôtel Ambos Mundos, où il a séjourné régulièrement entre 1928 et 1939 (parfois pendant quelques années en continu), sa chambre favorite, la 511, est accessible aux curieux moyennant deux pesos convertibles (équivalent de deux dollars américains). Mort dans l’après-midi (1932), Les vertes collines d’Afrique (1935) et En avoir ou pas (1937) font partie des œuvres produites entre ces murs. Interdit d’ouvrir les volets, mais la guide m’assure que c’est la vue, sur les deux côtés, qui lui a fait choisir cette chambre. Je resterai de longues minutes à épier la vie, en bas, à travers les fentes. Je suis bien allée sur la terrasse de l’étage au-dessus, mais me tenir au même endroit que lui quelques décennies auparavant me donne l’impression de m’approcher encore plus près de son univers.

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Épier la vie à travers les fentes des volets, dans la chambre 511 de l'hôtel Ambos Mundos. Photo: Marie-Julie Gagnon

Au El Floridita, l’un de ses repaires, je sirote un daiquiri avant de manger un plat de fruits de mer et de poisson. Alors que les touristes défilent pour se faire photographier avec sa statue, au bar, la salle à manger est quasi vide. Ma langouste s’avère beaucoup trop salée et surcuite, mais le poisson et les crevettes me remplissent le ventre.

À la Bodequita del Medio, je n’ai pas la patience d’attendre qu’une table se libère pour casser la croûte. Je me fraye tout de même un chemin pour voir ce lieu mythique, où a été inventé le mojito. Des photos des célébrités qui s’y sont arrêtées tapissent le mur couvert de graffitis. À l’étage, chaque pièce présente une atmosphère différente.

Le mur couvert de graffitis de la Bodequita del Medio. Photo: Marie-Julie Gagnon
Le mur couvert de graffitis de la Bodequita del Medio. Photo: Marie-Julie Gagnon

Avant de filer explorer la ville, je m’assois quelques minutes au bar, face à la célèbre citation d’Hemingway: «Mon mojito à la Bodeguita, mon daiquiri au El Floridita.» Oui, certains lieux hautement touristiques peuvent encore susciter l’émotion.

La célèbre citation d'Hemingway. Photo: Marie-Julie Gagnon
La célèbre citation d'Hemingway. Photo: Marie-Julie Gagnon

L’ouverture de Cuba

Bien sûr, tout le monde n’aime pas Hemingway. Des commerces affichent même l’enseigne «Hemingway n’est jamais venu ici». Son fantôme serait-il aussi «vivant» sans le contexte des cinquante dernières années? Comment créer de nouveaux mythes dans un pays où le temps semble s’être arrêté?

Le rétablissement des relations diplomatiques avec les États-Unis marque le début d’une nouvelle ère. N’empêche, l’embargo tient toujours, même si un allègement des sanctions commerciales vient d’être annoncé. Contrairement à ce que dit la rumeur, il reste compliqué pour les Américains de se rendre à Cuba sans raison valable. Les vols commerciaux reprendront bientôt, cependant.

Est-ce la raison pour laquelle tout le monde se rue à La Havane depuis quelques mois? Pour fixer dans sa mémoire une époque sur le point d'être révolue? Pendant mon bref séjour, j’entends des accents européens, asiatiques, canadiens… Tout le monde semble s’être donné le mot pour venir voir l’île avant le grand bouleversement. La porte-parole de Transat, Debbie Cabana, a pour sa part constaté un engouement monstre à la fin de 2015. «Traditionnellement, c’était une destination de dernière minute, mais cette année [en 2015], les gens ont réservé très tôt.»

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À La Havane, les vieilles voitures américaines sont légion. Photo: Marie-Julie Gagnon

Même si on sent un vent de changement, on a encore régulièrement l’impression de déambuler dans un décor de cinéma à La Havane. Sur le Malecón, les vieilles voitures américaines sont légion, tout comme les Lada. Les scènes de réparations mécaniques au bord des routes font inévitablement sourire. Me retrouvant moi-même dans un taxi qui émet des bruits douteux en me rendant à Cojimar, je ne peux que m’incliner devant la débrouillardise de mon chauffeur. Moins de dix minutes lui suffiront pour régler le bobo (ou, du moins, le calmer). Ici, le système D, on connaît!

Bien manger à La Havane

Au réputé restaurant La Guarida, dans le quartier Centro, où a été tourné le film Fresa y Chocolate dans les années 1990, je me retrouve parachutée quelques décennies en arrière. En pénétrant dans le bâtiment délabré, je peine à imaginer qu’une des meilleures tables de la ville se cache ici. La peinture écaillée et le majestueux escalier décrépi qui mène au restaurant ne laissent pas présager que moult stars (Beyoncé et Jay-Z, ça vous dit quelque chose?) et têtes couronnées en ont fait un arrêt incontournable. «Il faut réserver», m’ont tour à tour conseillé Mayssam Samaha de Will travel for food et Mario Dubé du blogue Bon voyage avant mon départ. Ne les ayant pas écoutés, je n’ai pu que siroter un énième daiquiri en observant les toits du voisinage. Je n’ai pas pu goûter non plus les plats du Paladar Dona Eutimia, recommandée notamment par la chroniqueuse Marie-Claude Lortie pour la même raison. De la vraie torture, avec l’odeur qui émanait des cuisines!

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L'escalier décrépi du restaurant La Guarida. Photo: Marie-Julie Gagnon

Car oui, malgré les atrocités servies dans la majorité des hôtels des stations balnéaires, il est aujourd’hui possible de bien manger à Cuba. Mais il faut savoir où et planifier. Le dernier soir, j’ai fait la queue pendant une bonne demi-heure pour pouvoir m’attabler à la terrasse du Jardin del Oriente, vanté par tous ceux qui sont passés dans le coin. Pour un souper relax à moins de 6$, je considère que l’attente en a valu la peine.

On trouve de tout aujourd’hui à Cuba, y compris des repas dont le prix dépasse largement le salaire mensuel moyen des Cubains, qui tourne autour de 20$US. Le magazine Vogue vient d’ailleurs de publier un reportage sur Cuba et sa gastronomie.

En 2011, Raúl Castro a assoupli les règles des entreprises privées. Depuis 1994, les paladars, restaurants tenus par une famille dans sa maison, pouvaient accueillir jusqu’à 12 convives. Aujourd’hui, 50 personnes peuvent s’y sustenter. Maintenant que les médias internationaux se sont pris de passion pour la ville, on doit parfois jouer du coude pour parvenir à entrer dans les endroits les plus courus comme El Floridita. L’excellence du système de santé attire par ailleurs de plus en plus de patients de l’étranger.

Mais une chose ne change pas: la musique résonne toujours partout, tout le temps. La Havane donne envie de danser. De célébrer. De trinquer à la vie qui continue, même si on n'a aucune idée de quoi sera fait demain.

Pratico-pratique :

  • Air Transat offre un nouveau vol direct vers La Havane au départ de Montréal depuis la fin de 2015. L’aller comme le retour sont le lundi. Une solution si vous souhaitez rester moins longtemps: atterrir ou repartir de Varadero.
  • Air China fait aussi escale à La Havane depuis le 27 décembre.
  • Une piste si vous souhaitez loger chez l’habitant: MyCasaParticular.com.
  • Si vous avez envie de combiner ville et plage, Transat propose de combiner les deux grâce à la Collection Duo (en formule tout compris à Varadero et plan européen à La Havane).
  • Notez que trouver un guichet automatique à la Havane relève de l’exploit (et encore, faut-il qu’il soit compatible avec votre banque) et les cartes de crédit sont acceptée presque nulle part (sauf pour obtenir de l’argent en espèces au bureau de chambre).
  • Au bureau de change, on vous demandera de présenter votre passeport. «Aucune commission n’est rattachée aux transactions en argent, quoique le taux de change soit généralement de 3% plus élevé si vous payez avec votre carte de crédit (pour laquelle vous payez déjà un 3% de frais de traitement)», met en garde Visit Cuba.
  • L’accès à WiFi coûte 2 pesos convertibles par heure. Il est nécessaire d’utiliser le temps à l'endroit où on l’on s’est branché la première fois.
  • À lire avant le départ: Comprendre Cuba, publié chez Ulysse. On y répond à plusieurs questions qu’on se pose sur le mode de vie des Cubains. Le guide Escale à La Havane, publié chez le même éditeur, m’a par ailleurs été très utile sur le terrain (je l’ai trouvé à la boutique Virgin de l’aéroport).
  • En plus des taxis et des «coco-taxis», version cubaine du tuk-tuk, les «Bici» (vélo-taxis) sont une bonne option.
  • N’oubliez pas de négociez!

Merci à Transat, grâce à qui ce séjour a été possible. Merci aussi à Ulysse pour l’excellent guide Comprendre Cuba, à Mayssam Samaha, Mario Dubé, Marie-Andrée Boucher, Rachel Latour, Jennifer Doré Dallas et à tous ceux qui ont pris la peine de m’écrire pour me faire leurs recommandations sur les réseaux sociaux!


Pour en savoir plus

La Havane, premières impressions

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