La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Le Wilder, nouveau lieu de danse montréalais

Une longue saga trouvera son dénouement en février. L’édifice Wilder, à Montréal, ouvrira enfin ses portes aux amateurs de danse et à tous ceux qui auront la curiosité d’aller voir ce qui se fait dans cette discipline artistique dans laquelle les Québécois sont reconnus à travers le monde.



En janvier 2011 (ça, c’est il y a six ans!), le conseil des ministres du gouvernement du Québec approuvait le projet de transformation de cet ancien édifice industriel de la rue de Bleury en Maison de la danse. Il en a fallu du temps, de la patience, des ajustements au budget et aux plans d’architecte avant que la chose ne se concrétise, avant que Les Grands Ballets canadiens, Espace Tangente, l’École de danse contemporaine et l’Agora de la danse n’élisent domicile sous un toit commun.

Maintenant que nous y sommes, il faut se réjouir haut et fort de cet ajout extraordinaire dans le Quartier des spectacles de Montréal. D’un coup, 400 travailleurs du milieu culturel se grefferont aux environs de la place des Festivals et de la Place des Arts, concrétisant encore davantage l’idée que ce quartier est un lieu de création.

Les Grands Ballets canadiens occuperont près de 80 000 pieds carrés du Wilder, mais seulement à compter de juin.

C’est l’Agora de la danse, la dernière organisation à embarquer dans le projet, qui aura l’honneur d’offrir le premier spectacle au 1435, rue de Bleury avec Animal triste, une création de la chorégraphe Mélanie Demers.

Photo: Facebook Ædifica architecture + design
Vue extérieure de l'édifice Wilder. Photo: Facebook Ædifica architecture + design

Un peu d’histoire

La semaine dernière, avec des collègues journalistes, j’ai eu droit à une visite d’une partie des installations en compagnie des dirigeants de l’Agora et de Tangente, de danseurs dont ce sera le lieu de travail et des architectes de ce projet emballant, néanmoins complexe.

Le Wilder est un vieil édifice construit en 1918 qui a d’abord abrité la fabrique de meubles H. A. Wilder, de là le nom. À l’époque, pour faire tenir une «tour» comme celle-là, l’architecte Charles R. Tetley avait dû distribuer les charges en multipliant les colonnes à chacun des 11 étages. Le béton du temps n’avait pas les mêmes propriétés qu’aujourd’hui.

Lorsqu’est venu le moment de requalifier l’immeuble, il a fallu composer avec l’héritage du passé. Pas trop de problèmes pour les étages supérieurs qui accueilleront les fonctionnaires du ministère de la Culture, du Conseil des arts et des lettres du Québec et de la Régie du cinéma. Mais la conception des grands volumes nécessaires à la construction des salles de spectacles et des studios de répétition a été plus corsée. Le pari a été gagné grâce à beaucoup de gymnastique intellectuelle, m’a confirmé Patrick Bernier, directeur Architecture et construction chez Aedifica, bureau d’architectes responsable du projet avec la firme Lapointe Magne.

Conférence de presse. Photo: Maxime Brouillet
Visite des installations de l'édifice Wilder. Photo: Maxime Brouillet

Suivez le guide

Dans la partie du Wilder qu’ils partagent, l’Agora de la danse et Tangente disposent de quatre immenses espaces polyvalents qui ont été baptisés du nom de personnalités vivantes et marquantes de la scène de la danse à Montréal. La salle principale, l’Espace Françoise Sullivan, occupe 273 mètres carrés et selon les configurations choisies elle peut accueillir entre 150 et 400 personnes. Elle est même dotée de portes de garage qui permettront d’ouvrir la salle sur une coursive vitrée donnant sur la rue de Bleury.

Une deuxième salle, qui a tous les atouts de la boîte noire, jouera le double rôle de lieu de spectacle et de répétition pour l’Agora et elle porte le nom de Florence Junca-Adenot, qui a contribué à la fondation de l’Agora en 1991.

L’Espace Dena Davida sera la seconde salle de spectacles de Tangente. Dena Davida a insisté pour que le nouveau local de la compagnie qu’elle a cofondée soit ouvert, chaleureux et convivial. On y trouve donc des fenêtres qui permettront aux passants de jeter un coup d’œil au travail des danseurs comme jadis on collait son nez dans les baies vitrées de Musique Plus.

On trouve aussi des fenêtres dans l’Espace Paul-André Fortier, qui sera utilisé pour les répétitions et les résidences de l’Agora.

Dena Photo: Maxime Brouillet
Dena Davida. Photo: Maxime Brouillet

Entrez dans la danse

L’Agora de la danse et Tangente sont de petites organisations. À la vue de leurs programmations respectives pour cette première saison au Wilder, on réalise qu’elles ne se sont pas laissé distraire par la construction et le déménagement.

Les propositions de spectacles sont variées et attirantes. Qu’on pense au retour de Sylvain Émard en solo (Le chant des sirènes) et à l’expérience Family Dinner, un souper spectacle de Justine A. Chambers à l’Agora, ou aux multiples soirées thématiques de Tangente qui permettront d’explorer l’âme africaine ou d’assister à une rencontre entre le breakdance et la nouvelle gigue.

Allez sur Internet jeter un coup d’œil aux sites complètement renouvelés de Tangente (tangentedanse.ca) et de l’Agora (agoradanse.com), vous verrez que l’énergie qui émerge de là ne tient pas seulement au béton neuf qu’on a coulé.

Et c’est cette énergie contagieuse qui me fait croire que le regroupement en un seul lieu des Grands Ballets canadiens, de Tangente, de l’Agora et de l’École de danse contemporaine va générer un effet de levier spectaculaire pour le milieu montréalais de la danse. Ça bouillonnait déjà, maintenant ça va exploser!

Agora de la danse
Agora de la danse

Mon coup de cœur

BAAM: Brigade Art Affaires de Montréal

Mon coup de cœur cette semaine va à un organisme encore peu connu, mais qui mérite l’attention: la Brigade Art Affaires de Montréal (BAAM).

Dans un Québec qui accuse un retard en matière de mécénat philanthropique, le BAAM travaille à faire éclore une relève d’affaires dans le milieu artistique montréalais. Récemment, une de ses initiatives a permis d’amasser 100 000$ auprès de 100 jeunes mécènes pour offrir un cadeau à la ville de Montréal pour son 375e anniversaire. Il s’agit d’une œuvre d’art public qui sera installée à l’angle des rues Sherbrooke et McTavish.

Autre initiative, le BAAM remettait mercredi ses premiers prix Ardi, qui récompensent la relève et l’innovation en philanthropie culturelle. Le lauréat dans la catégorie Relève d’affaires est Marc-Antoine Saumier, qui a entre autres créé le Cercle des jeunes philanthropes du Musée des beaux-arts de Montréal, et dans la catégorie Gestionnaire culturel, Mathieu Baril, artisan d’une campagne de sociofinancement originale pour permettre aux danseurs de Tangente de bonifier leurs cachets.

Parmi les quelques centaines de personnes qui assistaient à la remise de prix, j’ai rencontré des jeunes tout aussi motivés que les lauréats à ajouter du lustre à Montréal, métropole culturelle. Comme les deux frères Morin-Bordeleau, qui mijotent un projet de centre culturel pas mal original dans Griffintown (je vous en reparlerai), cet avocat de 24 ans, Pascal Paquette-Dorion, inscrit à la maîtrise en management des entreprises culturelles de HEC Montréal pour pouvoir mieux défendre les artistes ou cet artiste d’origine africaine, Moridja Kitenge Banza, qui m’a parlé avec tellement d’enthousiasme de la façon qu’il avait trouvée de nourrir sa pratique artistique à partir de ce qu’il vit dans ses jobs alimentaires qui vont de gardien de sécurité à guide au musée en passant par responsable de l’accueil des spectateurs de l’émission La Voix!

Pour un jeune qui nous a désespérés par son acte malveillant et meurtrier cette semaine, il y en a plein d’autres qui sont déterminés et engagés à améliorer notre société. On devrait plus souvent parler de ceux-là.

Photo: Charles Bélisle
Marc-Antoine Saumier et Mathieu Baril, récipiendaires du prix Ardi. Photo: Charles Bélisle