La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Les superbes de la culture

Alors que les Américains sont sur le point d’élire — ou pas — une femme à la tête de leur pays, une Hillary Clinton sûre d’elle, forte, ambitieuse et expérimentée, une enquête sur les femmes et le succès intitulée Les superbes, menée par Léa Clermont-Dion et Marie Hélène Poitras, paraîtra au Québec le 5 octobre. Dans cet ouvrage, ô combien essentiel, les deux auteures, des féministes de générations différentes, en plus d’entretenir une correspondance autour du succès au féminin, ont demandé à plusieurs personnalités, des femmes pour la plupart, de s’exprimer sur ce sujet trop peu souvent évoqué dans l’espace public.

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Parmi ces voix de tous les domaines qui s’élèvent dans ces pages, des artistes influentes de notre milieu culturel québécois ont accepté de s’ouvrir avec une franchise étonnante, utilisant des mots qu’elles ont sûrement pesés et mûrement réfléchis et qui, elles n’en ont pas idée, auront l’effet d’une bombe à la parution de l’ouvrage, que je salue en imaginant déjà qu’il fera jaser et qui, permettez-moi de m’emballer, fera une différence quelque part, ne serait-ce qu’au fil d’une entrevue que les «Superbes» accorderont pour promouvoir ce précieux livre. 

Le vedettariat et le monde



Bien sûr, je n’étais pas étonnée d’y retrouver certains propos, que je vous révèle ici avant sa sortie, question de vous mettre l’eau à la bouche — voire l’écume, ça peut choquer… —, mais qu’on prononce enfin ces mots, qu’on décide de ne pas les taire, il me semble que ça tombe à point, que ces exemples issus du star-système d’ici qu’on connaît et dont on jouit tous en tant que spectateurs ou fans, représentent aussi à différentes échelles ce qu’ont pu vivre un jour une caissière à l’épicerie du coin, une chef d’entreprise, une enseignante, une adolescente dans la cour d’école, une mère de famille derrière les portes closes de son quatre et demi, etc.

Parce que j’en suis sûre, il n’y a pas que Béatrice Martin, alias Cœur de pirate, qui a vécu une forme de condescendance paternaliste en cours de carrière…: «On me paterne tout le temps, tout le temps, tout le temps… En entrevue, il m’arrive régulièrement de me dire: “Wow! Jamais on ne me poserait cette question si j’étais un gars.” On me dit comment accomplir mon travail, on me traite comme une petite fille. Heille, je fais ce boulot-là depuis presque dix ans! Je suis ma propre patronne.», déclare-t-elle.

Photo: Facebook Béatrice Martin
Photo: Facebook Béatrice Martin

À peu près dans la même tranche d’âge et grande vedette de la chanson elle aussi, Marie-Mai jette pour sa part un éclairage sur la manière dont on perçoit le corps de la femme en représentation, l’œil de l’autre, toujours plus cruel sur la femme que sur l’homme. «Sur Instagram, tu trouveras les photos de certains chanteurs qui posent torse nu et les cheveux mouillés. Les filles les trouvent beaux et personne ne crie au scandale. Mais une artiste qui paraît en décolleté plongeant, même si la photo est élégante et que la fille tient un propos intelligent, se fera traiter de prostituée, ou alors on dira qu’elle a été refaite de la tête aux pieds. On nous demande d’être sexy-mais-pas-trop, intelligente-mais-pas-menaçante. Cette limite n’existe pas pour les gars.»

Photo : Carole Volikakis, Facebook Marie-Mai - VIP
Photo : Carole Volikakis, Facebook Marie-Mai - VIP

Les plumes qui dérangent

Paternalisme, jugement cruel… Et qu’en est-il du succès des créatrices? Chez l’écrivaine Perrine Leblanc, une rare Québécoise à être publiée en France à la prestigieuse maison d’édition Gallimard, ça ne s’est pas passé comme dans un conte de fées. «Je pense à cet homme amer, un écrivain qui a envoyé sur Facebook un message à des centaines de personnes du milieu littéraire, dont quelques journalistes, pour se plaindre de l’attention démesurée qu’on m’accordait, pour dire que je méritais qu’on m’encourage, sans plus. Hé! J’ai passé l’étape des encouragements! Un éditeur m’a aussi dit: “Si t’étais pas cute, t’aurais pas droit à la même attention médiatique.», se souvient-elle.

Photo: Facebook Perrine Leblanc
Photo: Facebook Perrine Leblanc

La professeure et écrivaine Martine Delvaux fait partie de ces autres femmes de mots à qui on a aussi tenté à quelques reprises de couper le sifflet, dont cette fois qu’elle relate dans Les superbes: «Je repense à ce plateau télé où j’ai été invitée pour discuter de la place des hommes dans le mouvement féministe. Ça ne se voit pas au montage final, mais je me suis fait couper la parole par les deux intervenants masculins tout au long de l’émission. Je suis sortie du plateau enragée. J’ai affronté mes deux collègues. L’un s’est montré sensible à mes reproches, l’autre, un peu moins.»

Photo: Valérie Nyes. Facebook Martine Delvaux
Photo: Valérie Nyes. Facebook Martine Delvaux

Une pour toutes, toutes pour une

Autre créatrice et femme d’affaires qui a, elle aussi, su faire sa place avec l’aplomb qu’on lui connaît, la productrice et auteure Fabienne Larouche fait partie de celles qui soulignent non seulement le problème de certains hommes avec le succès des femmes, mais celui aussi de quelques femmes à l’égard de leurs paires. Comme si jalousie, méfiance, compétition l’emportaient parfois sur la solidarité à laquelle on devrait aspirer… N’est-ce pas là un problème majeur — et tabou — dans la reconnaissance du succès au féminin pouvant aussi devenir un frein au féminisme? «J’ai côtoyé des machos finis, j’ai expérimenté des relations de travail pesantes avec certains. La même chose peut se produire avec les femmes: il y en a avec qui c’est très agréable de collaborer, et d’autres qui tentent de te dominer par peur de la compétition. […] les gens qui réussissent dérangent, qu’ils soient des hommes ou des femmes», estime la productrice.

Photo: Facebook Fabienne Larouche
Photo: Facebook Fabienne Larouche

«Comment pourrions-nous assumer notre superbe, parler haut et porter fièrement notre couronne, si on ne se reconnaît pas d’abord entre nous?», se questionne Marie Hélène Poitras dans les premières pages du livre. Plus loin, Béatrice Martin souligne d’ailleurs à Poitras ce «manque sincère de reconnaissance» entre filles tel qu’elle a pu le vivre: «Si tu savais le nombre de fois où des filles m’ont dit: “Ahhh! J’aime vraiment ce que tu fais!” Pour prétendre le contraire aussitôt que j’avais le dos tourné.» Elle termine ce passage en abordant la question de la confiance en soi sur laquelle s’attarde aussi la documentariste et journaliste Francine Pelletier: «Je n’ai qu’à me regarder dans le miroir pour constater le problème. Je ne me vois pas du tout comme une femme à succès, soit dit en passant. Une battante, oui, une gagnante, pas tellement. Pour avoir du succès, il faut se prendre au sérieux et se faire confiance, c’est une attitude tout autant qu’une aptitude, mais cela fait souvent défaut aux femmes, et je m’inclus là-dedans.»

Oui, cette dose de lucide franchise, mêlée à la sincérité des propos de celles et ceux qui se sont ouverts aux auteures, fait plaisir à lire, surtout venant de femmes de toutes les générations qui investissent l’espace public, qui vivent notamment dans l’œil scrutateur de l’autre, pas toujours tendre, on en convient. Il suffit de s’exposer un peu, sur les réseaux sociaux ou ailleurs, pour vite le constater. En espérant qu’en soulevant le bout de la couverture qui retrousse, on y trouve assez de matière à réflexion pour joindre nos forces et avancer.

À la prochaine…

Personnellement, après cette lecture, je fais mes propres petits mea culpa, dont je ne suis pas fière fière, je me donne un peu de tendresse aussi en m’en allant accoucher d’un garçon que je tenterai de faire grandir dans l’amour et le respect des autres. Merci chères lectrices, chers lecteurs, de me lire chaque semaine depuis mes débuts sur Avenues.ca, il y a un peu plus d’une année déjà. Je passe le flambeau à mon collègue Claude Deschênes, qui saura vous partager sa vaste connaissance du milieu culturel avec la passion qui l’anime depuis toujours. On se retrouve sous peu. 

JE CRAQUE POUR… 

La série télé dramatique Feux écrite par Serge Boucher

Photo: Facebook Feux
Photo: Facebook Feux

Dans un monde où, il me semble, les réalisateurs et acteurs sont, à quelques petites exceptions près, plus valorisés et mis à l’avant-plan que les auteurs, dans les séries télé, mais aussi au cinéma, je tenais à souligner l’excellence de Serge Boucher (Apparences, Aveux), qui, dans sa nouvelle série Feux, présentée sur ICI Radio-Canada, révèle des êtres tout en nuances, complexes, mystérieux, ajoutant ainsi à la tension qu’il met en relief tout au long de ses histoires, gardant les téléspectateurs dans l’attente des développements. Et bien sûr qu’on se reconnaît dans cette manière qu’a chaque personnage de cultiver son jardin secret, à la lueur de ses convictions et de sa morale, au bord de ses propres précipices, comme s’il était un équilibriste en train de jouer sa vie.

On ne peut que se réjouir d’avoir une série aussi achevée au petit écran pour amorcer les saisons fraîches. Bravo aussi à Claude Desrosiers à la réalisation et aux acteurs, Maude Guérin, Denis Bernard, Louise Turcot, Daniel Brière, Fanny Mallette, Valérie Blais, Sylvie Léonard, etc., mais surtout à Alexandre Goyette qui, bien que pas inconnu du grand public, ne fait pas partie (encore) du clan des dix mêmes comédiens de sa génération qu’on utilise à toutes les sauces. Oui, on peut proposer d’autres visages, je ne pense pas que ça fasse fléchir les cotes d’écoute.