La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Perdue dans les féminismes

Appel à l’aide: je suis une FHPF (Femme Hétérosexuelle Perdue dans les Féminismes)!



J’ai quitté l’enfance en voyant mon père en larmes le soir du 6 décembre 1989. Quatorze étudiantes et employées venaient d’être abattues à l’école Polytechnique parce qu’elles étaient des femmes. J’étais en sixième année du primaire. À cet âge, on commence à comprendre la teneur de certaines tragédies, ce qu’elles révèlent, au-delà des images scabreuses. J’ai alors réalisé, avant même de trop saisir ce que ça signifiait d’être féministe, qu’il fallait que j’en sois une, que ça allait de soi dans le foyer dans lequel j’étais élevée, pour avoir toutes les chances d’accomplir ce que je voulais et pour honorer le combat des pionnières.

Plus tard, je me suis engagée comme j’ai pu en étudiant le féminisme à l’UQAM, en voyant des films, en posant des questions, en orientant mes choix culturels en fonction d’un certain militantisme dont j’étais fière avant même que ça devienne une mode qu’on affiche sur un t-shirt.

Photo: Greg Kantra, Unsplash
Fière d'être féministe... avant même que ça devienne une mode qu’on affiche sur un t-shirt. Photo: Greg Kantra, Unsplash

Puis, ainsi va la vie, je suis devenue maman. Je mise depuis sur la transmission, je raconte des histoires de féministes à mes flos, j’ai suivi #moiaussi, appuyé et dénoncé moi-même un écrivain aux mains longues, etc. Un an après ce mouvement nécessaire et révolutionnaire, alors qu’il serait plus que temps d’en profiter pour se solidariser, un clivage à l’intérieur de la Fédération des femmes du Québec se fait sentir. La position de la direction sur le voile islamique et l’industrie du sexe polarisent ses membres. C’est d’ailleurs le 4 novembre en assemblée extraordinaire qu’elles entendront la proposition du CA de «soutenir les femmes musulmanes portant ou non un voile dans leur choix de carrière, quelle que soit la sphère d’activités», révélait en entrevue au Devoir la présidente de la FFQ, Gabrielle Bouchard, ainsi que de «reconnaître l’agentivité des femmes dans l’industrie du sexe, incluant le consentement à leurs activités».

Ça fait déjà un moment qu’il n’y a plus consensus au sein de la FFQ, mais à ce point? Qu’on soit pour ou contre ces deux positions n’est pas le sujet de ce billet, j’en suis plutôt à tenter de me faire une tête à partir des mouvements féministes (écologiques, politiques, égalitaires, religieux, réformistes, radicaux…) qui sont variés, parfois paradoxaux avec aussi des effets de continuité et de discontinuité qui s’entremêlent. «Certaines tendances réduisent à un seul aspect leur objectif, tandis que d’autres se saisissent d’un horizon le plus large possible de réformes. Les choix restreints et réformistes ou au contraire révolutionnaires du changement social auquel elles aspirent sont aussi un critère de différenciation. Vise-t-on de simples transformations législatives et culturelles ou les relie-t-on à un projet politique plus vaste?», réfléchit Florence Rochefort, spécialiste de l’histoire des féminismes, des femmes et du genre, dans Histoire mondiale des féminismes, qui vient de paraître dans la précieuse collection Que sais-je? des Presses universitaires de France (PUF).

Être une «bonne féministe»

Je pense que c’est là que se situe une partie de mon problème: comment poursuivre la lutte si je ne saisis pas bien les tenants et aboutissants du féminisme en 2018? Si je pense comme-ci ou comme ça, suis-je dans le tort? Devrais-je avoir honte d’adopter un tel comportement plutôt qu’un autre? Pourquoi est-ce que je grogne devant certaines attitudes de mes paires sur les réseaux sociaux? Ne devrais-je pas plutôt les suivre, être solidaire? Serais-je rendue une vieille conformiste, moi qui ai toujours aimé marcher à contre-courant? Comment expliquer sous peu le féminisme à ma fille et à mes nièces si je ne le comprends plus? Peut-on être une «bonne féministe»? Si j’approuve telle militante, pourquoi cette autre ne me rejoint-elle pas du tout? Laquelle est «meilleure» que l’autre? Pour citer le titre d’un adorable essai paru récemment des Françaises Margaux Collet et Raphaëlle Rémy-Leleu, illustré par Diglee: Beyoncé est-elle féministe ? Je suis confuse, aidez-moi quelqu’un!

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Bien qu’au sein des différentes factions il ne soit aucunement question, sauf exception, de rejeter le féminisme, il m’apparaît clair que des redéfinitions et des recompositions s’imposent, et encore plus avec Internet, nouveau vecteur de mobilisation. Pour y voir clair, je demandais cette semaine sur ma page Facebook un cours accéléré avec des féministes de différents horizons. Comprendre et réfléchir m’éviterait de m’insurger ou de juger sans être bien informée. Quelle est donc cette manie qu’on certaines personnes de se positionner et de réagir à chaud sur tout sans avoir pris le temps au préalable de lire et de questionner? À quand ces grands rendez-vous philosophiques et idéologiques – réunissant des représentantes de différents féminismes – afin de mettre à jour nos connaissances et opinions? L’idée n’est pas de faire des débats musclés, d’entrer dans des conflits sans envergure, plus gênants et nuisibles qu’efficaces, mais bien de présenter d’une manière pacifique les courants qu’on ne peut pas tous embrasser en même temps. Une amie suggérait même de faire un speed dating féministe… Pas mal comme idée. Alors, on commence par où, on s’organise comment? J’ai hâte de trouver mon cheval de bataille, la lutte est loin d’être terminée.

Je craque pour… Doubles vies d’Olivier Assayas

C’est ce film français qui ouvre le 1er novembre le 24e festival Cinemania de Montréal. Mettant en vedette Juliette Binoche, Guillaume Canet et Vincent Macaigne, ce long-métrage lancé d’abord en primeur mondiale à la Mostra de Venise et présenté au festival de Toronto (TIFF) raconte ces liens précieux, complexes et intimes entre un écrivain et son éditeur à une époque de changements dans le monde de l’édition. Très verbeux, peut-être trop pour certains, ce film met tout de même le doigt sur des vérités à l’égard du monde du livre, en proie à de grandes mutations.