La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

La nouvelle vie d’un grand costumier

L'Halloween m’a donné l’idée d’aller voir comment se passait la réincarnation du costumier de Radio-Canada, dont la fermeture avait été annoncée le 31 octobre 2014. Eh bien, deux ans après cette décision de liquider la plus vaste collection de costumes de scène en Amérique du Nord, j’ai pu constater lors d’une visite des nouveaux locaux qui les abritent que l’opération sauvetage est une réussite totale. Depuis juin dernier, ce patrimoine exceptionnel est de nouveau accessible au milieu culturel et on a même arrêté la date du 22 novembre pour l’inauguration officielle du Grand Costumier.

Entre bonnes mains



Sous la direction de Marie Houde, ancienne gestionnaire à L’École nationale de l’humour et à Oxfam Québec, trois costumières veillent désormais sur cette collection qui compte des vêtements couvrant la période allant de l’Antiquité à aujourd’hui.

«Costumes historiques, costumes du monde, costumes de variétés, nous avons hérité d’un costumier d’une grande richesse, dit Marie Houde. En plus de sa diversité, il se distingue par la qualité de confection de ses pièces. On vient de Toronto, Halifax et même de Vancouver pour y louer des morceaux.»

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Photo: Sylviane Robini

Le Grand Costumier crèche dans l’édifice Gaston-Miron au 1210 rue Sherbrooke Est, qui fut, pendant presque tout le 20e siècle, la Bibliothèque centrale de Montréal. On ne pouvait trouver meilleur endroit. L’édifice, qui sera centenaire l’an prochain, a été conçu par l’architecte Eugène Payette, qui avait imaginé une structure autoportante pour supporter le poids de milliers de livres. Pas de doute, c’est du solide. Aucun souci, donc, pour y accrocher les 70 000 costumes et ranger les 20 000 accessoires accumulés par Radio-Canada depuis les débuts de la télévision et cédés à la nouvelle entité.

«Nous pouvons compter sur un espace de 16 000 pieds carrés répartis sur cinq étages, détaille la patronne des lieux. Quand les travaux d’aménagement seront terminés, nous aurons un accès direct sur la rue Montcalm et nous disposerons d’un atelier de confection au dernier étage, des atouts pour nos clients. Aussi, nos locaux sont très fenestrés, ce qui met bien en valeur la collection.»

Avantage non négligeable, le loyer est payé par la Ville de Montréal.

Une collection numérisée

En changeant de mains, la collection de costumes de Radio-Canada s’est aussi offert une cure numérique. Une subvention de 100 000$ du ministère de la Culture du Québec a permis le développement d’une base de données qui permet une gestion efficace de l’inventaire et la numérisation de la collection. Le site web du Grand Costumier permet de voir en ligne plus de 750 costumes et accessoires.

Photo: Claude Deschênes
Photo: Claude Deschênes

Un modèle d’affaire pour assurer la pérennité

Même si le sauvetage du costumier de Radio-Canada s’est fait dans l’urgence, les détails pour assurer la pérennité de la solution n’ont pas été négligés. La structure qui a été créée pour gérer la mission de conservation de tous ces costumes appartient au modèle de l’économie sociale. C’est ce qui a attiré Marie Houde à s’engager dans ce projet.

«C’est un bel arrimage entre mes deux passions: l’engagement social et la culture. Une entreprise d’économie sociale ne cherche pas seulement la rentabilité économique, elle vise aussi à répondre à un besoin de la collectivité. Dans notre cas, on offre un service de location en soutien à la création professionnelle. On pense à la production de films, de séries télé, de pièces de théâtre. Ces industries culturelles ont un besoin criant de costumes. Notre mission première, c’est de les approvisionner. Pour ce qui est de notre engagement social, nous avons bien sûr un devoir de conservation de ce patrimoine collectif. Nous souhaitons aussi permettre au public d’y avoir accès, notamment en développant un programme de visite du Grand Costumier ou en créant des expositions qui permettraient de faire circuler nos costumes emblématiques dans les écoles d’art, les banques ou, pourquoi pas, à l’aéroport de Montréal.»

Photo: Claude Deschênes
Photo: Claude Deschênes

Marie Houde a plein de projets, mais la location de costumes aux particuliers n’est pas au programme. De son propre aveu, la gestion d’un tel service nécessiterait des ressources trop importantes.

L’équipe du Grand Costumier souhaite que le public n’en continue pas moins à participer à sa destinée. On se rappellera que plusieurs bénévoles ont contribué au déménagement des costumes et qu’une campagne de sociofinancement a permis d’amasser 30 000$ durant l’été. En novembre, le nouvel organisme lancera un programme d’obligations communautaires. Une façon pour le public de faire fructifier ses sous en encourageant cette caverne d’Ali Baba qui regroupe tant de souvenirs de nos vies passées à regarder notre télévision nationale.

Mon coup de cœur

You Want It Darker de Leonard Cohen

alt="leonard-cohen"Le nouveau disque de Leonard Cohen me fait l’effet de l’automne. Ça annonce la fin d’un cycle, ça rend mélancolique, mais c’est tellement beau! Dans les chansons de You Want It Darker, le poète est en mode bilan. Avec gravité et sagesse, il nous donne l’espoir que l’âge peut être une clé pour accéder à la lucidité. Ce disque est une sorte de miracle. N’eût été son fils Adam, qui a remis son père sur le métier, cette 14e offrande de Leonard Cohen n’aurait pas vu le jour. Adam Cohen signe la réalisation de six des neuf titres. Avec une connaissance intime de son patriarche et de son oeuvre, il nous propose l’équivalent sonore de l’enluminure. Chacune des chansons a sa décoration: un chœur d’hommes somptueux sur You Want It Darker, une guitare plaintive pour Leaving The Table, un soupçon d’orgue B3 traverse It Seemed The Better Way, et que dire de ce mélange typiquement «cohenien» de violon, bouzouki, mandoline et voix féminine pour Traveling Light. Et si c’était l’ultime disque? Il n’en serait que plus précieux.