La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Je me souviens

Nous voilà donc rendus en novembre, le mois des morts. L’Halloween lance le bal, suivi de la Toussaint le 1er novembre, et du jour des Morts le 2 qui est, dans la tradition chrétienne, une occasion de rendre hommage aux trépassés. Il y aura aussi, bien sûr, le jour du Souvenir le 11 novembre. Si vous voulez remplir votre devoir de mémoire dans un esprit d’espoir et de découverte, je vous conseille de ne pas manquer Fleurs d'armes, la nouvelle exposition du musée du Château Ramezay.



Cette exposition est surprenante à plus d’un titre. D’abord, elle a été créée autour d’une collection rare de fleurs séchées. Durant la Première Guerre mondiale, le militaire montréalais George Stephen Cantlie envoyait du front des lettres à sa famille. Les mots à sa plus jeune étaient courts, mais toujours accompagnés de fleurs cueillies lors de ses déplacements.

Cent ans plus tard, elles constituent la plus importante collection de fleurs séchées datant de la Grande Guerre.

C’est à partir de cette matière riche et émouvante que Viveka Melki a eu l’idée de l’exposition Fleurs d'armes. Précisons que Viveka Melki a un rapport particulier aux souvenirs de guerre puisqu’elle a réalisé plusieurs documentaires sur les vétérans. Cette femme d’images était bien consciente qu’en cette époque où le multimédia est la norme dans les musées, une exposition sur une collection de fleurs séchées et de lettres, ce n’est pas suffisant pour susciter l’intérêt d’un large public. C’est pourquoi elle a construit, avec une équipe multidisciplinaire, une proposition multisensorielle qui a de quoi surprendre, car même notre sens de l’odorat est sollicité.

Photo: Claude Deschênes
Même notre sens de l'odorat est sollicité dans cette exposition. Photo: Claude Deschênes

Le dire avec des fleurs

L’exposition est une production des Jardins de Métis, lieu historique national du Canada situé en Gaspésie. Son directeur, Alexander Reford, et Céline Arseneault, une botaniste qui a longtemps œuvré au Jardin botanique de Montréal, ont supervisé tout ce qui concerne les fleurs.

Selon le principe de la floriographie (le langage des fleurs), chacun des dix spécimens choisis dans la collection Cantlie s’est vu attribuer un symbole. Par exemple, l’ancolie correspond à la soif de victoire, la stellaire à la guérison, le coquelicot au repos éternel. Les symboles sont incarnés par autant de personnages marquants de la Première Guerre dont on évoque le destin: l’athlète olympique Percival Molson, tué dans les tranchées par un tir de mortier, Georges Vanier, ancien gouverneur général du Canada, amputé d’une jambe, Julia Drummond, fondatrice du bureau de renseignements de la Croix-Rouge canadienne qui a perdu, en 1915, un fils enrôlé.

Photo: Claude Deschênes
Chaque fleur s’est vue attribuer un symbole. Photo: Claude Deschênes

Pour chaque personnage, on a créé un petit autel avec des artéfacts, des photos d’archives saisissantes et des sculptures en cristal de l’artiste Mark Raynes Roberts. Cela évoque à la fois le confessionnal et les grandes cathédrales de France.

Une des sculptures en cristal de l’artiste Mark Raynes Roberts. Photo: Claude Deschênes
Une des sculptures en cristal de l’artiste Mark Raynes Roberts. Photo: Claude Deschênes

Porté par la musique de Marie-Claire Saindon et Keira Macfarlane, on se promène dans la scénographie imaginée par Normand Dumont dans un état de recueillement qu’amplifient les effluves créés par Alexandra Bachand.

Photo: Claude Deschênes
Tout est mis en scène pour porter au recueillement. Photo: Claude Deschênes

Cette exploitation de l’odorat mérite qu’on s’y attarde un moment.

L’odeur pour faire ressentir l’histoire

Alexandra Bachand est une artiste en art visuel qui a troqué le pinceau pour les essences. Pour Fleurs d'armes, il n’était pas question que la parfumeuse se contente de refaire l’odeur des fleurs exposées. Son défi était ailleurs. À partir des notes de son orgue – c’est ainsi qu’on décrit l’ensemble des 300 flacons qui servent à la composition des parfums –, elle a créé des fragrances qui évoquent la symbolique attribuée aux fleurs. Dans le parfum qu’on libère à la station consacrée à George Stephen Cantlie, il y a des notes de bois et d’écurie, pour rappeler que ce père de famille était attaché à sa terre et à ses chevaux. Pour nous mettre dans l’esprit des hôpitaux militaires où aboutissaient les blessés de guerre, on nous fait respirer des effluves de camphre et d’eucalyptus.

La parfumeuse a écrit un texte qui nous éclaire sur les subtilités de ses différentes compositions.

Pour éliminer les volatils et rendre l’expérience universelle, Alexandra Bachand a travaillé avec un dispositif mis au point à Paris qui constitue, selon elle, une piste d’avenir pour l’exploitation de l’odeur au musée.

«Les odeurs sont sèches, explique-t-elle. Elles nous parviennent en pressant sur un bouton et s’évaporent presque aussitôt. Le parfum permet d’aller puiser des émotions très fortes. Pourquoi s’en priverait-on? Dans le cadre d’une exposition comme celle-ci sur le devoir de mémoire, c’est riche de sens.»

Photo: Claude Deschênes
Alexandra Bachand, artiste en art visuel qui a troqué le pinceau pour les essences. Photo: Claude Deschênes

Une exposition qui a des airs de monument

Dernier élément qui ajoute une touche dramatique à cette présentation, les murs de la salle d’exposition sont couverts des 68 000 noms des soldats canadiens morts durant la guerre 14-18. Viveka Melki, dont c’est l’idée, soutient que c’est la première fois que ça se fait au musée. Cela a nécessité un travail de six mois pour la recherche et la réalisation.

La commissaire de l’exposition considère que cela valait le coup.

«Fleurs d'armes a été présentée au Jardin de Métis et au Musée canadien de la guerre à Ottawa en 2017, à la Maison Campbell à Toronto et au Mémorial national du Canada à Vimy en France, en 2018, partout les gens ont été bouleversés par notre proposition. Ils ont vu l’exposition comme si c’était un monument. Ils se sont sentis interpellés par l’expérience. Je pense qu’on a réussi à faire en sorte que le devoir de mémoire devienne quelque chose de très personnel.»

L’exposition est à l’affiche du musée du Château Ramezay jusqu’au 31 mars 2019.

Photo: Claude Deschênes
Une exposition bouleversante. Photo: Claude Deschênes

Le devoir de mémoire enseigné aux jeunes

Le Collège international Marie de France, institution scolaire privée fondée en 1939 et située sur le chemin Queen-Mary à Montréal, a fait cette année un effort colossal pour souligner le centenaire de l’Armistice de la Grande Guerre et inoculer à ses élèves la mémoire de ce conflit mondial qui a embrasé l’Europe de 1914 à 1918 et fait 10 millions de morts chez les civils et les militaires.

Agnès Sedjro, responsable du centre de documentation de l’école, a monté une imposante exposition intitulée La Der des Ders. Artéfacts, costumes, médailles, affiches canadiennes et françaises, films d’archives, la quantité d’objets réunis impressionne. On y présente même une maquette de la bataille de la Somme, un carnage qui s’est soldé par un million de soldats tués.

Cette maquette réalisée par Richard Aubé a été obtenue grâce à un partenariat avec le régiment des Fusiliers Mont-Royal qui, ai-je appris, possède un musée dans ses installations de l’avenue des Pins.

Si l’exposition a été réalisée principalement à l’intention des 2 000 élèves qui fréquentent le collège, elle est également accessible au grand public à l’occasion de deux journées portes ouvertes, les 7 et 8 novembre, de 17 h à 20 h.