La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

#ellessimposent: de Klô Pelgag à Joan Didion

En complet cravate, robe sirène, robe très courte, robe très longue, robe à paillettes, robe sirène ou robe sushis, au récent gala de l’ADISQ, les femmes de la chanson ont brillé d’authenticité et de vérité, la tête haute, la colonne droite sous leurs beaux atours et la langue bien perchée en prenant la parole dans leurs remerciements.



Si certaines en ont profité pour revenir sur le salutaire tsunami de dénonciations #moiaussi contre le harcèlement sexuel, d’autres, comme la si talentueuse Klô Pelgag, y sont allées de propos si forts et porteurs qu’ils feront de cette 39e édition de remise de Félix une de celles qu’on ne pourra pas oublier de sitôt.

Je parle bien sûr ici de ses mots au sujet des méchant.e.s haters du web à qui elle a souhaité de se «trouver une passion comme nous l’avons tous fait!». «Les filles, habillez-vous comme vous voulez!», a-t-elle ajouté en tenant fièrement le trophée d’auteur.e. compositeur.i.c.e de l’année, le premier à être remporté par une femme dans cette prestigieuse catégorie depuis Francine Raymond en 1993. Ahuuuum. 1-9-9-3. Batinsse. C’est l’année où Les Colocs remportaient les Félix de groupe et de révélation de l’année et où Marie Carmen et Richard Séguin gagnaient dans la catégorie «Interprète de l’année».

Comme si, en 24 ans, les Ariane Moffatt, Salomé Leclerc, Catherine Major, Lynda Lemay, Mara Tremblay, Ève Cournoyer, Elisapie Isaac et tellement d’autres ne s’étaient jamais démarquées. Je ne me souviens pas que cette aberration ait déjà fait suffisamment jaser pour qu’on s’en insurge. Je savais qu’en littérature ou au cinéma la parole féminine avait du mal à se faire reconnaître avec autant d’éclat que celle des hommes, mais en chansons, j’avoue, ça m’avait échappé. Et pourtant, le monde a besoin d’entendre ce que porte dans ses entrailles la moitié de la population. S’en priver, c’est de l’étroitesse d’esprit. Alors, bravo doublement Klô Pelgag.

Photo: Facebook Klô Pelgag
Photo: Facebook Klô Pelgag

Pour en finir avec les boys clubs

Elles sortent, les fortes magnifiques. Vivement leurs prises de paroles, celles sous le #metoo/#moiaussi, mais aussi celles qui ont pris la plume à l’Halloween pour apposer leur signature au bas d’une lettre ouverte contre le harcèlement sexuel intitulée Not Surprised.

La photographe Cindy Sherman, la musicienne Laurie Anderson, l’artiste conceptuelle Jenny Holzer font partie de ces Américaines qui se sont jointes à 7000 femmes du milieu des arts qui écrivaient ces mots : «Nous sommes artistes, administratrices, assistantes, curatrices, critiques d'art, directrices, éditrices, étudiantes, galeristes, chercheurs, stagiaires et universitaires travaillant dans le monde de l'art contemporain, et nous avons été victimes d'attouchements, rabaissé.e.s, harcelé.e.s, infantilisé.e.s, méprisé.e.s, menacé.e.s et intimidé.e.s par celles et ceux en position de pouvoir (...)», peut-on lire dans Libération. Depuis, ça fait jaser partout sur la planète, signe qu’une époque est révolue, que des changements surviendront en art, mais ailleurs aussi.

Imaginez à quel point elles ont longtemps été tenues à l’écart dans la sphère plus conservatrice des idées et des débats, voire des médias écrits ou parlés où la parité est loin d’être atteinte et ce n’est pas faute de candidates pour commenter l’actualité sous toutes ses formes sur le ton que vous voudrez; humoristique, sérieux, jeune, expérimenté, «bubbly», intello, etc. Pourtant, elles sont là aussi, à droite, au centre ou à gauche, elles sont capables de prendre le crachoir, d’élever le débat chez nous. À défaut d’avoir une tribune officielle, ça fait un moment qu’elles nous le prouvent au moins par l’entremise des réseaux sociaux – ils auront au moins servi à ça - où certaines brillent d’intelligence et de lucidité. Heureusement que Facebook n’est pas un boys club parce que clairement, ces hommes rassemblés pour débattre, commenter, recevoir des prix ou des éloges dominent encore ici et là. Tiens, le groupe Antisexisme UQAM faisait d’ailleurs remarquer cette semaine sur Twitter que sur 118 doctorats honoris causa attribués par l'UQAM depuis 25 ans, seuls 24 l'ont été à des femmes.

#ellessimposent

Le monde des affaires – c’est pareil partout dans le monde – brille lui aussi par l’absence de femmes et c’est suffisamment préoccupant pour que la Secrétaire générale de la Francophonie, Michaëlle Jean, ait mis sur pied, conjointement avec la Roumanie, la Conférence des femmes de la Francophonie, qui se déroule à Bucarest depuis le 31 octobre. Des centaines de participantes, de tous les horizons et des cinq continents, sont présentement entendues par des représentants d’institutions financières, des ténors du privé, des analystes et des spécialistes. «Les études le confirment, investir dans les initiatives économiques des femmes et des jeunes est le meilleur gage de croissance. Or, force est de constater leurs difficultés à accéder aux financements. Un trop grand nombre de femmes restent confinées au secteur informel. […] Être femme est toujours un combat», a déclaré Michaëlle Jean, tel que rapporté par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Le ministère des Affaires francophones a d’ailleurs envoyé là-bas une délégation citoyenne de six femmes leaders de partout en Ontario pour prendre part à la rencontre.

Bravo aux Roumaines, qui en ont fait du chemin depuis la chute du régime communiste de Nicolae Ceausescu en 1989. Avant cette année-là, parmi les femmes, il n’y avait qu’Elena, la femme du dictateur, qui avait des droits. 

Je craque pour…

Joan Didion: Le centre ne tiendra pas, documentaire de Griffin Dunne sur Netflix.

Connaissez-vous l’Américaine Joan Didion? Quand vous aurez vu ce documentaire biographique réalisé par son neveu, qui lui rend un vibrant hommage, vous voudrez tout lire de cette importante écrivaine âgée de 82 ans et à qui l’ont doit de nombreux scénarios de films et des livres tels que le roman Une saison de nuits, paru en 1963, ou l’essai L’année de la pensée magique, paru en anglais en 2005 et portant sur le décès de son mari, John Gregory Dunne, avec qui elle partageait la même passion du métier. Avec une vie mouvementée de réflexions, de deuils brutaux, dont celui aussi de sa fille unique, d’idées d’avant-garde en lien avec l’Histoire de l’Amérique, pas étonnant qu’elle soit encore aujourd’hui la muse d’écrivains culte comme Jay McInerney ou Bret Easton Ellis et qu’elle ait servi de modèle pour une campagne publicitaire de vêtements Céline en 2015. Quand même pas plate, la grande dame!

Photo: Tradlands, Flickr
Photo: Tradlands, Flickr