La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Cuba, les Américains et nous

Depuis l’annonce du rapprochement entre Cuba et les États-Unis en décembre 2014, nous sommes nombreux à nous inquiéter d’une éventuelle invasion américaine dans notre petit coin de paradis. Cuba, c’est notre «terrain de jeu» préféré à nous, les Québécois, qui y allons en vacances pour moins de 1000$ pour une semaine, tout compris. Le seul endroit où l’on est certain de ne pas voir de McDo et où l’on était, jusqu’à récemment, coupé du monde et d’Internet*.

Et si nos voisins transformaient «notre île» à grands coups de Starbucks? Cette annonce a secoué les puces de plusieurs, nous faisant réaliser à quel point nous passons à côté des richesses culturelles de ce pays en restant confinés dans nos resorts. Vite, il faut voir La Havane avant que les «grands méchants Américains» viennent la croquer!

Les mois qui ont suivi l’annonce d’Obama ont prouvé que nous ne sommes pas les seuls à nous préoccuper des répercussions de l’éventuelle levée de l’embargo. Cuba était déjà une destination en vogue auprès des Européens, mais aujourd’hui, tout le monde sent l’urgence de voir le pays avant la grande transformation.

En 2015, le nombre de visiteurs a franchi un record: près de 3,5 millions de touristes ont défilé, dont 1,3 million de Canadiens. Selon Reuters, c’est 17,4% de plus qu’en 2014.

Y a-t-il autant d’Américains à Cuba qu’on le croit?



À la fin de 2015, la journaliste Fabienne Couturier écrivait dans La Presse: «Faut-il se précipiter à Cuba?» «Un article paru en mai dernier dans le quotidien britannique The Guardian fait état de chiffres à première vue impressionnants: 36% plus d'Américains sans liens familiaux avec des Cubains ont visité l'île depuis l'annonce de janvier dernier par rapport à la même période l'année précédente, rapporte-t-elle. Le nombre d'Américains qui ont gagné Cuba en passant par un tiers pays a grimpé de 57%. En pourcentage, c'est vrai, les statistiques frappent. Mais en chiffres nets, ces 57% se traduisent par 4736 personnes de plus. En regard des 3 millions d'arrivées que Cuba enregistre chaque année, c'est insignifiant.»

Selon les critères pris en considération, les chiffres varient. AFP parle, de son côté, de 160 000 visiteurs provenant du pays de l’Oncle Sam l’année dernière (pour l’ensemble, incluant ceux ayant des liens familiaux). Martin Movilla, envoyé spécial de Radio-Canada à Cuba, nous apprend pour sa part que 200 000 Américains ont pris part à des programmes d’échanges culturels à Cuba en 2015 (avez-vous le tournis, vous aussi, en tentant de décoder tous ces chiffres?). À titre de comparaison, en 2009, environ 50 000 Américains ont atterri à Cuba.

Ce que bien des gens ignorent, c’est que les Américains ne peuvent pas encore visiter Cuba comme bon leur semble, même si les liaisons aériennes régulières viennent d’être à nouveau autorisées (les premiers vols débuteront à l’été 2016). Ils doivent appartenir à l’une des douze catégories admissibles, incluant notamment les journalistes, les artistes et les groupes religieux, universitaires ou sportifs.

Les Américains qui ne correspondent pas à l’une de ces catégories n’ont d’autre choix que de prendre leur mal en patience. La levée de l’embargo, en place depuis cinquante ans, pourra être effectuée seulement quand le Congrès donnera le feu vert.

En début d’année, lors de son huitième et dernier discours sur l’état de l’Union, Barack Obama a de nouveau insisté sur l’importance de mettre fin à l’isolement de Cuba. «Cinquante ans passés à isoler Cuba n’ont pas réussi à promouvoir la démocratie et nous ont fait reculer en Amérique latine. C’est pourquoi nous avons rétabli les relations diplomatiques, ouvert de nouvelles voies au tourisme et au commerce et nous sommes positionnés pour améliorer la vie du peuple cubain. Vous voulez renforcer notre leadership et notre crédibilité sur le continent? Admettez que la Guerre froide est terminée. Levez l’embargo.»

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À quand la «transformation extrême»?

Quiconque se rend à La Havane en ce moment remarque des constructions ici et là. Comme l’a rapporté le journaliste Jean-Michel Leprince dans le premier reportage d’une série sur Cuba, le pays est en chantier. L’hébergement est d’ailleurs le grand souci actuel. Environ 63 000 chambres sont disponibles – ce qui est nettement insuffisant pour suffire à la demande – et le gouvernement souhaite voir ce chiffre augmenter à 85 000 d’ici 2020. La grande majorité des chaînes hôtelières est actuellement détenue par l’État. De plus en plus populaires, les casa particulares, soit des logements chez l’habitant, complètent l’offre actuelle.

Un projet immobilier piloté par des Québécois, Jibacoa, a par ailleurs obtenu l'engagement des autorités pour «permettre aux étrangers d'acheter une propriété avec des droits d'utilisation à vie, qui peuvent même être transférés comme héritage», rapporte Martin Movilla de Radio-Canada. Le même reportage mentionne également l’hôtel Arte, aussi le fruit du travail d’une équipe de concepteurs de Montréal (il faut lire l’article et visionner le reportage pour bien comprendre à quel point rien n’est simple…).

Le 17 février, le président Obama a annoncé qu’il se rendra à Cuba en mars. John Kerry, secrétaire d'État, a pour sa part foulé le sol de l’île en août 2015, à l’occasion de la réouverture de l'ambassade américaine. Considérant qu’Obama a toujours soutenu que cela ne l'intéressait pas de «simplement valider le statu quo», ce voyage revêt un fort caractère symbolique.

Alors, on se rue à Cuba avant lui? Tic, tac, tic, tac…

Quelques infos clés pour bien comprendre la situation:

  • La rupture des relations a eu lieu en 1961. «Washington rompt en janvier les relations diplomatiques avec La Havane après le rapprochement des révolutionnaires castristes avec l'URSS et la confiscation des biens américains, résume 20minutes.fr. En avril, le monde entier assiste à l'échec d'une tentative de débarquement d'exilés cubains soutenu par les États-Unis dans la baie des Cochons.» L’embargo commercial est décrété quelques mois plus tard par John F. Kennedy, en février 1962.
  • Le Canada est le seul pays occidental à avoir poursuivi ses relations après la révolution cubaine. «Le Canada a en effet développé des relations particulières avec Cuba dans les années 1970, rappelle le guide Comprendre Cuba des éditions Ulysse. C’est le seul pays occidental qui n’a pas rompu ses relations diplomatiques avec la grande île, établies en 1945, lors de la Révolution. Le premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau fut l’un des premiers chefs d’État occidentaux à effectuer un voyage officiel à La Havane, en 1976. Ce déplacement permit de renforcer les liens économiques et touristiques entre les deux pays.»
  • Selon AFP, «les nouveaux vols, autorisés malgré l'embargo maintenu contre l'île depuis 1962, s'ajouteront à la vingtaine de liaisons charters qui relient déjà quotidiennement les deux pays. L'autorisation de ces vols date de 1977.» Cependant, pour les Américains, les vols vers Cuba sont encore chers. «Il faut aujourd'hui compter au minimum 400$ pour un vol Miami-La Havane et les prix augmentent avec la durée du séjour.»

*Des coupons pour se brancher à Internet sans fil sont vendus partout au pays au coût de 2 pesos convertibles/l’heure, mais il est nécessaire de toujours utiliser son code d’accès à l’endroit où l’on s’est connecté pour la première fois.


Pour en savoir plus

Cuba, une île en mutation

Martin Movilla et Jean-Michel Leprince

Février 2016

Radio-Canada

Les «nouveaux riches» de Cuba

Agence France-Presse

17 février 2016

La Presse

La petite histoire du tourisme à Cuba

Extraits du guide Ulysse Comprendre Cuba, par Hector Lemieux

24 septembre 2010

Canoë

Cuba, voyage dans le temps à La Havane

Marie-Julie Gagnon

2 février 2016

Avenues